Résumé De nombreuses études ont rapporté que des niveaux élevés de sentiment d’injustice sont associés à un rétablissement problématique chez les personnes souffrant d’un large éventail de problèmes débilitants de santé et de santé mentale. On en sait peu actuellement sur les facteurs déterminants du sentiment d’injustice dans les suites immédiates d’un accident du travail, ou sur les facteurs déterminants des changements dans le sentiment d’injustice. L’objectif principal de cette recherche était d’identifier les déterminants du sentiment d’injustice dans les premières semaines suivant un accident du travail. L’échantillon de participants comprenait 187 personnes (92 hommes et 95 femmes) ayant subi une blessure musculosquelettique invalidante lors d’un incident lié au travail dans les 3 mois précédant la date d’inscription à l’étude. Les participants ont été recrutés par l’intermédiaire de cliniques de physiothérapie et d’annonces dans les médias sociaux. Les participants ont été invités à remplir des questionnaires en ligne trois fois à intervalles de trois semaines. Des approches quantitatives et qualitatives ont été utilisées pour analyser les données. Dans le cadre d’une approche quantitative (étude 1), les scores des mesures standardisées de la douleur, de la dépression et de l’incapacité ont été utilisés pour prédire les niveaux de sentiment d’injustice. Dans le cadre d’une approche qualitative (étude 2), les participants ayant obtenu des scores élevés à la mesure du sentiment d’injustice (n = 30) ont été interviewés au sujet des facteurs qui ont contribué à leur sentiment d’injustice. Une méthodologie de théorie ancrée a été utilisée pour examiner les grandes catégories de situations ou d’événements générateurs que les participants ont vécus comme injustes dans les semaines suivant un accident du travail. Les résultats de l’étude 1 ont montré que le sentiment d’injustice était prévalent à la suite d’une blessure musculosquelettique. Pour la majorité des participants, les scores de la mesure du sentiment d’injustice sont demeurés stables ou ont diminué tout au long de la période d’étude. Les scores de la mesure du sentiment d’injustice ont augmenté pour 23 % de l’échantillon. Les analyses de régression transversale ont révélé que les scores des mesures de la douleur et de la dépression contribuaient de manière significative à la variance unique de la prédiction des scores du sentiment d’injustice. Les résultats des régressions croisées décalées ont suggéré des influences bidirectionnelles entre le sentiment d’injustice, la douleur et la dépression. Les changements précoces du sentiment d’injustice prédisaient de manière prospective les changements ultérieurs dans la douleur et de la dépression ; les changements précoces dans la douleur et de la dépression prédisaient de manière prospective des changements ultérieurs du sentiment d’injustice. Dans l’étude 2, trois thèmes dominants ont émergé des entretiens : 1) l’invalidation, 2) la souffrance non méritée et 3) le blâme. Les participants ont décrit des expériences d’invalidation de la part des employeurs, des professionnels de la santé et des représentants des assurances. Les réponses des participants aux entrevues ont également mis en évidence le sentiment d’injustice résultant de l’interférence dans la participation à des activités valorisées de la vie causées par la douleur, et l’attente d’une douleur prolongée ou permanente. On attribue le blâme aux expériences qui ont contribué à la souffrance des participants en raison d’un manque de compréhension, d’un manque de reconnaissance ou d’un déni de leur état. Les résultats permettent non seulement de progresser dans les connaissances des facteurs contribuant à l’émergence du sentiment d’injustice à la suite d’une blessure invalidante, mais ils indiquent également les voies possibles par lesquelles les perceptions d’injustice peuvent entraver le rétablissement après un accident du travail. Les recommandations concernant les changements à apporter à la gestion clinique des lésions musculosquelettiques comprennent : 1) le dépistage précoce du sentiment d’injustice chez les travailleurs blessés, 2) le dépistage de la dépression chez les travailleurs blessés dont le sentiment d’injustice est élevé, 3) l’identification précoce des facteurs contribuant au sentiment d’injustice chez les travailleurs blessés, 4) le développement de modules de formation visant à réduire la communication invalidante, 5) le développement de stratégies fondées sur l’information pour réduire les évaluations de l’injustice.