Résumé La présente recherche fait suite à une première étude épidémiologique montrant la prévalence élevée des troubles musculo-squelettiques (TMS), des troubles de santé psychologique (TSPsy), des facteurs de risques physiques et psychosociaux chez les préposés des centres d'appels d'urgence de la sécurité publique municipale (CAU-SPM). Elle vise à comprendre comment apparaissent ces risques dans le travail afin de proposer des pistes d'action pour réduire leurs effets délétères sur la santé des préposés. Dans cette perspective, cette recherche se fonde sur l'approche ergonomique de l'activité de travail, incluant des mesures physiologiques, et est complétée par une étude de psychodynamique du travail. Les facteurs de risques physiques et psychosociaux mis en évidence par les études épidémiologiques réfèrent, en ergonomie, à la présence de contraintes et de charges de nature musculo-squelettique et mentale associées à la présence de TMS et/ou de TSPsy. Les contraintes physiques à l'origine d'une charge musculo-squelettique risquée dans les CAUSPM relèvent des problématiques du travail à l'ordinateur, auxquelles s'ajoutent les contraintes spécifiques de la communication d'urgence. Ces contraintes concernent, d'une part, les problèmes d'accessibilité provenant du nombre d'équipements à disposer sur le bureau et, d'autre part, le maintien prolongé de la posture assise requis par la nécessaire présence au poste. Pour réduire les risques de TMS relatifs à cette dernière contrainte, certains CAU-SPM se sont dotés de bureaux permettant le travail assis ou debout. Les contraintes mentales relèvent de trois processus. Premièrement, la charge de travail dont la définition en entreprise correspond à la quantité d'actions à effectuer au cours d'une période de temps donnée. Celle-ci concerne la fréquence des appels entrants et le nombre de recherches à effectuer pour y répondre. Deuxièmement, la charge cognitive dont le domaine porte sur le traitement de l'information soit, dans le cas présent, la complexité du traitement des appels. Troisièmement, la charge psychique qui couvre la dimension émotionnelle du traitement des appels d'urgence et les processus psychiques mis en jeu par les préposés pour faire face aux contraintes présentes dans le travail. Les descriptions des situations de travail, dans lesquelles sont mises en évidence des difficultés de régulation, sont à la base du développement des pistes d'action visant à réduire les risques de TMS et de TSPsy. Ces pistes d'action ont été élaborées avec l'aide du comité de suivi et validées par une rencontre avec un groupe de préposés. La recherche s'est effectuée avec la participation des cinq CAU-SPM ayant contribué à l'étude précédente. Elle comporte deux volets, une étude ergonomique avec le recueil de données physiologiques et une étude de psychodynamique du travail. L'étude ergonomique et physiologique s'appuie sur la participation de 11 préposés, six hommes et cinq femmes, dont neuf sont des employés expérimentés et deux débutants. Ces préposés occupent les postes généralistes, des postes de prise d'appels ou de répartition. Les données recueillies sont les suivantes : description du travail et de l'aménagement des bureaux, observation des postures de travail, utilisation des réglages des bureaux assis-debout, communications téléphoniques, évaluations subjectives de la charge mentale, des douleurs musculo-squelettiques et de la fatigue, électromyographie (EMG) des muscles du trapèze, rythme cardiaque ou électrocardiographie (ECG) et verbalisation des préposés sur le travail durant les entrevues d'autoconfrontation. Les observations et les mesures sont effectuées sur un quart de travail, le rythme cardiaque est enregistré durant 24 heures. La réalisation de l'enquête de psychodynamique du travail a donné lieu à l'organisation de quatre entrevues de groupe dans quatre CAU-SPM. Les groupes sont composés de quatre à six préposés, femmes et hommes ayant de 2 à 25 ans d'expérience. Le contenu des entrevues a été analysé à partir du cadre de référence de la psychodynamique du travail, conformément à la méthodologie en vigueur. Les résultats de l'étude ergonomique montrent que pour la prévention des risques physiques, l'introduction de bureaux réglables assis – debout offre une plus grande marge de manoeuvre aux préposés pour faire face à diverses contraintes du travail et aux sensations de douleurs musculosquelettiques ou de fatigue. Toutefois, la conception des bureaux n'apparaît pas entièrement satisfaisante pour la réduction des risques de TMS. Le design des tables de bureau devrait être revu en fonction de l'activité des préposés et de l'évolution de la technologie. Les études d'ergonomie - physiologie et de psychodynamique du travail apportent une meilleure connaissance de la présence des contraintes psychosociales. Ces contraintes psychosociales mesurées par l'évaluation subjective de la charge mentale se trouvent associées à une augmentation des sensations de douleurs musculo-squelettiques. En effet, les douleurs dans la région du haut du dos-cou épaules sont corrélées positivement aux perceptions plus élevées de la charge de travail ou de la complexité des appels, tandis que les douleurs au bas du dos sont reliées aux émotions négatives. Ce résultat concorde avec l'augmentation de l'activité et la diminution du temps de repos des muscles du trapèze en lien avec l'accroissement de la charge de travail ou de la complexité des appels. Pour les émotions négatives, aucune de ces modifications ne sont significatives. L'augmentation de l'activité et la diminution du temps de repos des muscles du trapèze proviennent probablement des actions plus nombreuses sur les commandes. Pour ce qui est du rythme cardiaque, une perte importante de sa variabilité a été mesurée durant toute la durée du quart de travail pour les préposés expérimentés. Cette perte est récupérée rapidement après le travail. Elle témoigne de la préparation des préposés expérimentés à réagir aux situations de stress. Au cours du quart de travail, les corrélations de la FC ou de la variabilité du rythme cardiaque (VRC) avec les réponses aux échelles de perception ne concernent qu'un petit nombre de préposés. Elles attestent d'une dépendance aux caractéristiques particulières des quarts de travail observés. L'observation des problèmes cognitifs ou relationnels dans les communications et les verbalisations obtenues par les entrevues d'autoconfrontation ont permis de décrire les situations de travail présentant une charge cognitive et émotionnelle élevée. L'analyse de psychodynamique du travail complète le portrait en décrivant la gestion de ces contraintes relativement à la dimension psychique. Elle permet, d'une part, de mettre à jour comment se construit au fil du temps l'expérience professionnelle des préposés et, d'autre part, d'identifier les sources de plaisir et les stratégies de défense mises en oeuvre pour faire face aux contraintes particulières de ce métier. Les résultats apportent des éléments de compréhension du travail qui ont servi de base à l'élaboration de pistes d'action par le comité de suivi. Celles-ci se situent dans les perspectives de développement d'une profession dont la structuration est relativement récente au Québec. En premier lieu, les efforts ont été orientés vers l'amélioration de la technologie. Ils se sont concrétisés par l'achat d'équipements informatiques soutenant le travail des préposés et d'un mobilier tenant compte des contraintes d'un travail en continu où les préposés se relayent au même bureau. Les résultats de l'étude concernant les risques psychosociaux montrent que les efforts doivent être dirigés, dans une deuxième phase, vers le soutien cognitif et émotionnel. Ce soutien demande le développement de formation s'appuyant sur la transmission et l'échange de savoir-faire relatifs à la communication lors de la prise des appels. Il implique également l'approfondissement des relations avec les premiers intervenants et particulièrement avec les policiers patrouilleurs. Le comité de suivi a élaboré des pistes d'action dans cette perspective. Plus généralement, cette recherche aura permis de développer une méthodologie d'étude ergonomique pour intervenir sur la réduction des risques psychosociaux.