IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Prise en charge de la SST dans les mines souterraines : témoignages de cadres et de représentants des travailleurs

Résumé

Cette étude exploratoire vise à mieux connaître les rôles des cadres et représentants des travailleurs de mines souterraines québécoises, les éléments du contexte qui peuvent agir comme leviers ou obstacles à leurs actions en SST et à amorcer des réflexions sur ce qui peut les soutenir dans leurs rôles. Cette étude s’appuie sur une exploration de la littérature et sur une analyse secondaire des données recueillies lors d’un projet de recherche portant sur les conditions d’intégration des nouveaux travailleurs dans les mines (Ledoux, Beaugrand, Jolly, Ouellet, et Fournier, 2015).

Le projet de recherche a été réalisé grâce à la participation de cent quinze cadres, représentants des travailleurs, mineurs et opérateurs œuvrant dans des mines à ciel ouvert et souterraines québécoises. Les données, recueillies au moyen d’entretiens semi-dirigés d’une durée d’environ une heure et d’observations, ont été exploitées pour produire un premier rapport de recherche centrée sur la description des processus d’intégration (Ledoux et al., 2015). Des témoignages en lien avec l’exercice des rôles et des responsabilités des cadres et des représentants des travailleurs en matière de SST ont aussi été consignés lors des entretiens, mais ce sujet n’a pu être exploité à fond lors de la production du premier rapport (Ledoux et al., 2015). Il a donc été proposé à l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur minier (APSM) d’en dresser un portrait, ce qui a donné lieu à ce second rapport.

Afin d’ébaucher un portrait plus cohérent des rôles des cadres et des représentants des travailleurs, cette étude exploratoire s’appuie exclusivement sur les entretiens menés dans les trois mines souterraines étudiées. L’exploitation des mines souterraines impose une organisation du travail qui rend plus difficiles les interactions entre les différents acteurs et, conséquemment, génère des défis différents. Trente entretiens menés avec du personnel-cadre, ou assimilable à cette catégorie, quatre avec des représentants des travailleurs et vingt-trois avec des travailleurs des mines souterraines ont été considérés lors des analyses. Bien que la collecte de données du précédent projet se centrait sur le processus d’intégration des nouveaux travailleurs, quelques questions posées systématiquement, abordaient les rôles des personnes rencontrées. Au-delà de ces questions précises, les cadres et représentants de travailleurs ont aussi livré spontanément quantité d’information sur le contexte qui peut faciliter ou mettre à défi l’exercice de leur rôle en SST ou celui de leurs collègues. Puisque ces thèmes n’étaient pas explorés de façon similaire dans chaque entretien, les résultats ne peuvent prétendre à l’exhaustivité et ne sont pas généralisables. Malgré ces limites, exploiter les données déjà recueillies permet de mettre à disposition des informations originales sur un secteur dans lequel la collecte de données sur le terrain exige des efforts appréciables et coûteux (éloignement, accès difficile au terrain, etc.) de la part des équipes de recherche et du personnel des entreprises minières. Ainsi, le portrait issu des analyses décrit une part de ce que vivent les cadres (particulièrement les surintendants et les superviseurs de premier niveau) ou représentants des travailleurs, et peut ainsi constituer une base de réflexion pour les acteurs du secteur minier et pour les chercheurs qui désireraient s’engager dans des projets sur le sujet. Le rôle des représentants des travailleurs en matière de SST bénéficierait notamment d’être étudié plus en profondeur dans les prochaines recherches, pour mieux saisir les principaux défis auxquels ces acteurs de la prévention font face, les stratégies et moyens qu’ils utilisent, le soutien sur lequel ils peuvent compter en milieu syndiqué et non syndiqué.

L’exploration de la littérature, réalisée dans le premier volet de cette étude exploratoire, apporte un certain éclairage sur les rôles des cadres et des représentants des travailleurs en matière de SST, mais ne fait pas vraiment la lumière sur le contexte dans lequel ils l’exercent dans le secteur minier québécois.

L’analyse des données d’entretien de cette étude exploratoire montre que les surintendants assument une vaste étendue de responsabilités touchant la SST. Malgré la révision des structures organisationnelles, il semble que le contexte d’accroissement des activités minières (qui avait cours au moment de la collecte de données en 2010-2012), de mouvement de la main-d’œuvre et de pénurie de personnel expérimenté les place dans des conditions de surcharge de travail et d’appréhension. Une distance, qui peut créer des tensions, est constatée entre ce qu’ils désirent accomplir et ce qu’ils réussissent à faire compte tenu des obligations mobilisant leur temps et des contraintes du milieu. Cet état paraît exacerbé lorsque le surintendant est lui-même en période d’intégration à son poste.

Les superviseurs, de leur côté, se voient confier un grand nombre de responsabilités qui doivent s’inscrire dans un cadre temporel peu flexible qui est dicté par l’horaire de montée et de descente des ascenseurs dans la mine souterraine. En plus des aléas quotidiens de production, plusieurs conditions s’additionnent pour rendre difficile l’atteinte de leurs objectifs par exemple le temps de présence auprès des travailleurs. La charge ressentie peut être lourde.

Enfin, malgré l’information très limitée recueillie au sujet des représentants des travailleurs, l’équipe de recherche a pu constater leur participation formelle à nombre d’activités en SST. À l’instar des cadres, les représentants des travailleurs ont la volonté manifeste d’assurer une présence sur le terrain et leurs responsabilités peuvent leur sembler lourdes par moment. Leurs approches ont pour base la confiance, la collaboration, la ténacité, mais ils ont aussi recours au service d’inspection de la CNESST lorsqu’ils estiment qu’une situation à risque n’est pas prise en charge avec suffisamment d’attention.

La collaboration entre les travailleurs et les cadres est au cœur des dispositifs mis en place par diverses législations pour prévenir les lésions professionnelles. Les résultats montrent que la collaboration n’est pas toujours facile, tous ne partagent pas la même vision de la SST et n’y accordent pas la même priorité, cela est vrai tant dans les relations travailleurs-cadres et dans celles cadres-cadres. La reconnaissance de la valeur des rôles de chacun, la transparence dans les relations, la cohérence dans les actions et l’engagement de la haute direction à obtenir des résultats concrets, paraissent des facteurs favorables à l’établissement de la collaboration selon les témoignages recueillis.

Bien que les mines travaillent à l’amélioration de la SST de façon continue, les cadres et les représentants des travailleurs ont aussi fait part à l’équipe de recherche de problèmes qui subsistaient ou de conditions qui leur paraissent moins propices à remplir les objectifs attendus et à assurer la santé et la sécurité à leur satisfaction. L’exemple de l’élaboration et de la mise en application des procédures illustre certaines de ces conditions. De plus, entre les valeurs édictées dans la vision stratégique de l’entreprise et la manière dont se traduisent ces valeurs dans le fonctionnement de la mine et dans son style de gestion, une certaine ambiguïté peut exister quant à la priorité réellement accordée à la SST.

Enfin, ces analyses ont permis de dégager quelques avenues formulées par les acteurs eux-mêmes pour soutenir la prise en charge de la SST dans l’exercice de leurs fonctions respectives, qui devraient être étoffées par des recherches ultérieures. Avec toutes les limites qui s’imposent liées à l’approche exploratoire de cette étude, ces avenues suggèrent de renforcir le soutien à tous les niveaux, de « prendre soin » des personnes qui choisissent de s’engager en prévention et de reconnaître le besoin de temps et de ressources pour que la SST, au-delà des engagements formulés dans les énoncés de vision des entreprises, s’intègre à tous les niveaux de l’organisation et transforme aussi l’organisation des opérations.