IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Les conditions pour une intégration sécuritaire au métier - Un regard sur le secteur minier québécois

Résumé

Les questions de recrutement et d’intégration d’une nouvelle main-d’oeuvre sont au coeur des préoccupations des entreprises minières qui font face au départ à la retraite de la génération des bébé-boumeurs, à la mobilité de la main-d’oeuvre et à des périodes de croissances liées à l’effervescence du marché dans le secteur. C’est dans ce contexte qu’une demande a été formulée par l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur minier (APSM) à un groupe de chercheurs pour documenter les conditions favorisant une intégration sécuritaire et compétente des nouveaux mineurs notamment celles aidant à la transmission des savoirs entre travailleurs expérimentés et nouveaux travailleurs.

Le projet a été réalisé dans cinq mines, deux à ciel ouvert et trois souterraines, qui ont accepté sur une base volontaire de participer à cette étude. Le processus d’intégration a été étudié pour les postes d’entrée d’opérateur d’équipement minier affecté à la conduite de camion à benne, de préposé au camion de service et de mineur d’entretien. Des situations de formation à la tâche lors d’ascension vers les postes plus spécialisés tels que boulonneur et opérateur de chargeuse assigné à la production ont aussi été objets de l’étude.


Une approche par étude de cas (Yin, 1994) a été retenue. Les cas ont été documentés principalement au moyen d’entretiens (n=115) et par des observations d’activités de travail et de compagnonnage (durée équivalant à 29 jours). Le dispositif mis en place pour soutenir l’intégration est décrit à travers un examen de l’organisation, du fonctionnement des sites et de l’analyse ergonomique de l’activité de travail des personnes qui participent au processus. Par cette approche, nous avons tenté de dégager les conditions pouvant avoir une influence sur ce processus.

Les expériences vécues dans les sites miniers montrent que peu de temps sépare l’annonce de décisions importantes concernant la production et le déploiement des actions nécessaires pour la mise en opération. C’est souvent dans ce contexte que les gestionnaires doivent procéder à l’embauche et à l’intégration de travailleurs bien que les mines doivent aussi combler les besoins courants de personnel. Chaque mine possède un dispositif d’intégration des nouveaux travailleurs qu’elles bonifient et structurent à travers le temps. L’étape de l’accueil du nouvel employé, souvent jugée beaucoup trop chargée, vise à faire connaître en peu de temps l’entreprise, mais aussi nombre de règles et de procédures. Après diverses formations notamment sur les équipements utilisés, le nouveau travailleur est formé à la tâche par un collègue plus expérimenté; le contexte de mouvement de la main-d’oeuvre fait en sorte que ce dernier a parfois à peine quelques mois d’expérience. Selon la mine concernée, cet apprentissage du métier peut prendre plusieurs formes : de compagnonnage structuré réalisé dans un contexte facilitant (ex. contenu défini à couvrir, durée minimale, compagnon reconnu par l’organisation, pas d’attente particulière de production, compensation monétaire au compagnon pour le boni non cumulé, etc.) à un jumelage déterminé le matin même dans un contexte pouvant limiter les possibilités de transmission (ex. : le travailleur expérimenté n’a pas de statut reconnu, le nouveau travailleur prend la place d’un travailleur expérimenté pour des tâches effectuées normalement en équipe de deux, les objectifs de production ne sont pas révisés, pas de compensation pour la rémunération perdue, etc.). Ce sont en général des formateurs-cadres ayant une grande expérience des activités de la mine qui assurent la responsabilité d’accréditer les nouveaux travailleurs; une tendance émerge toutefois, en raison du manque de personnel : avoir recours à des formateurs hors mineset donc moins familiers avec le contexte. Quant au suivi formel après la formation, il constitue une préoccupation pour les mines, mais demeure actuellement peu développé.

Dès son entrée à la mine, le nouveau travailleur est plongé dans une culture d’entreprise où la SST constitue une préoccupation majeure notamment par le souci de faire preuve de diligence raisonnable (réf. loi C-21). Cependant, les attentes de production, la rémunération au rendement, la valorisation de la débrouillardise, la précarité d’emploi, les nombreuses procédures, dont certaines ne sont pas à jour, figurent au nombre des facteurs pouvant compromettre les actions de prévention souhaitées, nommément durant l’intégration. Les nouveaux travailleurs éprouvent des difficultés communes lors de leur intégration, par exemple : le cumul des nouveautés à apprendre en peu de temps, la connaissance des lieux, du matériel, des modes de communication, la planification du travail, la lecture du terrain, l’analyse et la résolution de problème. Or, les éléments explicitement mentionnés sur les feuilles de route de formation sont souvent en lien avec le développement des habiletés pour contrôler les équipements et l’assimilation des procédures sécuritaires, mais touchent plus rarement les aspects telles la planification et la résolution de problème. Les situations vues durant la formation à la tâche sont donc déterminantes pour développer ces habiletés; le compagnon joue un rôle important en ce sens notamment en cherchant des « places payantes » pour le nouveau, et le personnel-cadre y contribue en soutenant ces démarches. Seul à son poste après la formation, le nouveau est confronté à des situations inédites et désire montrer qu’il est maintenant capable de les maîtriser; préoccupé par la production il mentionne le stress vécu. La communication joue un rôle important dans cette transition où le nouveau poursuit ses apprentissages; elle s’avère plus naturelle et facile dans les mines à ciel ouvert puisque les membres du collectif travaillent à proximité les uns des autres.

Les conditions influençant le processus d’intégration des nouveaux travailleurs se situent donc à différents niveaux organisationnels, soit ceux du collectif de travail, de l’organisation du département mine, de l’organisation de l’entreprise et même de l’organisation du secteur minier lui-même. Cinq constats tirés des études de cas ont guidé la formulation des pistes d’intervention présentées à la fin du rapport et dont une part fait partie des pratiques actuelles de certains sites miniers. Compte tenu de l’importante mobilité interne de la main-d’oeuvre, des exigences de polyvalence, des impératifs de la production et de la variabilité des situations de travail :

  • La formation des nouveaux travailleurs n’est pas qu’une activité ponctuelle ciblée dans le temps, elle représente une activité courante qui fait partie intégrante des opérations minières quotidiennes;
  • Un nouveau travailleur n’est pas seulement un employé nouvellement embauché, mais il caractérise aussi les employés qui débutent à un autre poste; les personnes qui reprennent le travail après une longue absence; les employés qui assurent la relève sur des postes et ceux qui n’y ont pas travaillé depuis un certain temps;
  • Les postes d’entrée sont plus complexes à apprendre qu’il n’y paraît et les conditions d’organisation de la production influencent les conditions d’apprentissage; • Une part très importante de la formation au métier et du soutien à l’intégration est assumée par des travailleurs expérimentés auxquels on demande de transmettre leurs savoirs d’expérience. Cette activité de compagnonnage se poursuit de façon informelle après la formation prévue par le dispositif d’accueil et d’intégration. Ce complément essentiel est toutefois plus ou moins reconnu dans les sites miniers;
  • La conduite des projets d’investissement peut créer des conditions qui fragilisent les dispositifs d’accueil et de formation des nouveaux travailleurs mis en place par les entreprises, et génèrent des impacts possibles à la fois sur la santé et la sécurité des travailleurs et sur la productivité.


Les résultats de cette étude montrent que les dispositifs élaborés pour soutenir l’intégration des nouveaux ne peuvent se limiter à mieux structurer la formation. Ils concernent l’ensemble de l’organisation des opérations minières et des conditions mises en place pour opérer. L’intégration et la transmission des savoirs sont un processus qui se construit progressivement dans le temps et dans l’action. Ce processus varie beaucoup en fonction des conditions d’exercice du travail rencontrées par les nouveaux travailleurs, mais aussi par les travailleurs expérimentés et les collectifs de travail.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Élise Ledoux
  • Sylvie Beaugrand
  • Caroline Jolly
  • Sylvie Ouellet
  • Pierre-Sébastien Fournier
Projet de recherche : 0099-8660
Mis en ligne le : 29 février 2016
Date de mise à jour : 19 septembre 2016
Format : Texte