IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Les femmes manutentionnaires - Un point de vue biomécanique et ergonomique

Résumé

De nombreuses femmes exercent le métier de manutentionnaire. À tort, on a négligé de s’intéresser à cette population parce que le métier de manutentionnaire est largement pratiqué par des hommes. Il existe des études qui ont observé des différences significatives entre les hommes et les femmes dans leurs façons d’effectuer les tâches de manutention, mais leur nombre est limité. Quoique le nombre de manutentionnaires féminins soit beaucoup moins élevé dans certains types d’activité comme le transport et la machinerie, dans d’autres secteurs comme l’alimentation et les services, les femmes constituent souvent près de la moitié de la main-d'œuvre qui, de façon occasionnelle, devra faire du travail de manutention. Il est donc pertinent d’étudier cette population. L’objectif de ce projet de recherche était de mieux comprendre ce qui différencie les femmes des hommes manutentionnaires dans leurs modes opératoires. On suppose que les modes opératoires propres aux manutentionnaires féminins expérimentés sont différents des manutentionnaires de sexe masculin.

Les données de cette étude ont été comparées à celles recueillies lors du projet expert/novice avec des sujets masculins (Plamondon et coll., 2010). Le design expérimental permettait de faire ressortir les différences entre les sexes dans un contexte de travail où la charge était la même de façon absolue (15 kg pour les deux sexes) ou la même de façon relative (hommes : 15 kg; femmes : 10 kg) sachant que les femmes démontrent approximativement en moyenne une force équivalente aux 2/3 de la force des hommes (10/15 kg = 2/3). Trois séances expérimentales ont été tenues. La première consistait principalement à évaluer les capacités physiques des sujets et à les familiariser avec les conditions expérimentales. Les deux autres séances plaçaient les manutentionnaires dans deux contextes différents. Les caractéristiques de la charge (poids, fragilité du contenant et décentrage du centre de gravité), la hauteur de saisie et de dépôt de même que l’état de fatigue des manutentionnaires sont les paramètres qui ont été modifiés pour tenter de susciter une plus grande variété de modes opératoires des participants.

Des données biomécaniques et des observations ergonomiques ont été recueillies lors de ces trois séances à partir de systèmes de mesure du mouvement, d’une grande plate-forme de forces et d’un système de mesures de l’activation des muscles. Les résultats démontrent que les femmes (15 sujets) sont moins fortes que le groupe d’hommes experts (15 sujets) et celui d’hommes novices (15 sujets), avec des mesures de force musculaire (force de levée et force des muscles du tronc) se situant entre 49 et 63 % de celle des hommes. Lors des tâches de manutention, il était aussi attendu, en regard des différences de gabarit entre les sexes, que le chargement au dos maximal (moment résultant à L5/S1) soit plus élevé chez les hommes. Toutefois, lorsque ce moment résultant était normalisé en fonction du poids du tronc, ces différences disparaissaient dans la majorité des cas. D’un autre côté, les résultats confirment que les femmes opèrent de manière différente à celle des experts masculins, en adoptant des façons de faire qui ressemblent davantage à celle des novices masculins. Pour une même charge absolue de 15 kg, les femmes ont, comparativement aux hommes experts : une durée de transfert des caisses plus longue; une inclinaison du tronc et une flexion lombaire plus élevées; une flexion des genoux moins grande au levage des caisses du sol; une vélocité angulaire du tronc plus faible; et un meilleur rapprochement des caisses. Une majorité de femmes (et de novices) ont utilisé une technique de levage très différente de celle des experts masculins, qui consiste principalement à effectuer dans un premier temps une extension des genoux et à réaliser l’extension du tronc par la suite. Cette technique pourrait induire une flexion lombaire supérieure à celle observée chez les hommes experts, mettant plus à risque les structures passives internes de la colonne vertébrale lombaire. Elle présente toutefois l’avantage d’être très efficiente sur le plan énergétique.

La manutention d’une même charge relative (hommes : 15 kg vs femmes : 10 kg) a permis aux femmes de bénéficier à la fois d’une réduction du chargement au dos et de la durée de transfert. Par contre, elles ont augmenté la distance de la caisse par rapport au tronc et cela n’a pas diminué le niveau de flexion lombaire dans la plupart des conditions. Conséquemment, l’intervention la plus directe serait de réduire le poids de la charge pour les femmes; mais cela n’affecte pas la flexion lombaire. La formation demeure une autre avenue d’intervention, mais les effets sur le chargement lombaire restent limités. Un autre type d’intervention consiste à augmenter la hauteur de saisie des caisses. Il faut retenir ici que la majorité des risques rapportés dans ce rapport ne s’appliquent qu’aux conditions de manutention où la charge est prise du sol, ce qui ne représente qu’une fraction de la plupart des tâches de manutention. En fait, les risques au dos diminuent considérablement lorsque la charge est prise à la hauteur des hanches. Ces modes d’intervention sont non seulement utiles pour augmenter la marge de sécurité au dos, mais également pour réduire l’exposition physique des manutentionnaires, hommes ou femmes.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
Projet de recherche : 0099-8020
Mis en ligne le : 13 novembre 2012
Format : Texte