Résumé Problématique. Les travailleurs des services de protection de l’enfance sont exposés de manière répétée à des événements potentiellement traumatiques (EPT) dans le cadre de leur travail, notamment des actes de violence. Ils sont ainsi susceptibles de développer des problèmes de santé mentale tels que l’anxiété, l’insomnie, la dépression et des symptômes de stress post- traumatiques. Sur le plan professionnel, les EPT engendrent des coûts élevés pour l’individu et l’organisation : baisse de la satisfaction au travail, absentéisme, changement d’emploi, baisse de productivité, etc. Dans ce contexte, le Centre de la protection de l’enfance et de la jeunesse (CPEJ) du Centre-Sud-de-l’Île de Montréal a mis en place un protocole d’intervention post- traumatique (IPT) impliquant une équipe de pairs aidants formés pour offrir du soutien aux employés touchés par un EPT. Objectifs de l’étude. La présente étude comprend quatre objectifs : 1) comparer les effets de l’IPT en plus du soutien usuel (c.-à-d., soutien des collègues et du superviseur, et référence au programme d’aide aux employés) au soutien usuel uniquement sur les symptômes psychologiques et le fonctionnement professionnel des travailleurs exposés à un EPT ; 2) identifier les prédicteurs de l’état psychologique et du fonctionnement professionnel chez les travailleurs exposés à un EPT ; 3) explorer les motifs du recours et du non-recours à l’IPT chez les travailleurs exposés à un EPT ; et 4) explorer les besoins de soutien des travailleurs exposés à un EPT. Méthodologie. Les participants étaient des travailleurs récemment exposés à un EPT au travail provenant des CPEJ du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et de la Montérégie-Est. La vaste majorité des EPT rapportés (96 %) impliquaient l’exposition à des comportements agressifs de la part des jeunes ou de leurs parents. Les participants ont rempli un ensemble de questionnaires en ligne à quatre reprises, soit à l’intérieur d’un mois suivant leur EPT (176 travailleurs), deux mois après l’EPT (168 travailleurs), six mois après l’EPT (162 travailleurs), et 12 mois après l’EPT (161 travailleurs). Les questionnaires incluaient des mesures sur les rôles de genre, les symptômes psychologiques, le fonctionnement au travail et le soutien perçu. Soixante-quatre participants ont également pris part à une entrevue individuelle portant sur les motifs du recours ou du non-recours à l’IPT (pour les participants de Montréal) et sur les besoins de soutien. Résultats. Pour le premier objectif, les participants ont été divisés en trois groupes : 1) les participants de Montréal qui ont eu recours à l’IPT, 2) les participants de Montréal qui n’ont pas eu recours à l’IPT, et 3) les participants de Montérégie-Est, où aucun programme de soutien par les pairs spécialisé en post-trauma n’était offert. Au Temps 1, les participants du groupe de Montréal avec IPT et ceux de la Montérégie-Est présentaient davantage de symptômes de stress aigu et un plus haut taux d’absentéisme comparativement aux participants du groupe de Montréal sans IPT, suggérant qu’ils étaient davantage affectés par leur EPT. Peu importe le temps de mesure, il n’y avait aucune différence significative entre les participants du groupe avec IPT et ceux des deux autres groupes pour les autres variables de santé mentale et de fonctionnement professionnel. Dans l’ensemble, ces résultats ne supportent pas la supériorité de l’IPT en plus du soutien usuel comparativement au soutien usuel seul. Concernant le deuxième objectif, certaines variables de travail potentiellement modifiables prédisaient la sévérité des symptômes psychologiques, une faible productivité au travail et/ou la qualité de vie professionnelle durant l’année suivant l’exposition à un EPT. En particulier, la confiance en sa capacité à composer avec l’agressivité des usagers et le degré auquel le travail était perçu comme étant sécuritaire étaient des facteurs de protection, alors que les demandes psychologiques liées au travail (p. ex. la charge de travail) constituaient un facteur de risque. En outre, les travailleurs qui vivaient davantage de détresse psychologique suivant leur EPT étaient plus à risque d’être (ré-) exposés à des comportements agressifs au travail deux mois plus tard. Concernant le troisième objectif, les entrevues dans le groupe de Montréal avec IPT ont révélé plusieurs conséquences négatives des EPT sur la santé psychologique, lesquelles peuvent constituer un motif important pour recourir à l’IPT. Néanmoins, pour certains, le recours à l’IPT était davantage d’ordre préventif. Être encouragé à utiliser l’IPT par un collègue (directement ou par l’exemple) ou avoir déjà utilisé l’IPT était d’autres facteurs pouvant motiver le recours à l’IPT. Les participants qui ont eu recours à l’IPT ont rapporté plusieurs bénéfices de leur(s) rencontre(s) avec un pair aidant. Concernant les motifs du non-recours à l’IPT, les participants ont rapporté un manque d’utilité perçue, ou encore l’accès à d’autres sources de soutien (superviseur, collèges, conjoint, psychologue). D’autres participants n’ont pas eu recours à l’IPT, car ce service n’a pas été offert par le superviseur ou encore parce qu’ils manquaient d’information. En ce qui a trait au quatrième objectif, d’après l’analyse des entrevues dans les trois groupes, les participants ont exprimé le besoin d’être soutenus par leur superviseur et leurs collègues. Dans les semaines et les mois qui ont suivi l’EPT, plusieurs travailleurs ont manifesté leur intérêt à recevoir du soutien émotionnel de la part de leur superviseur et un temps d’échange pour apprendre de l’EPT. En ce qui concerne le soutien des collègues, en plus du besoin de validation et de bienveillance, les participants ont fait mention de besoins de soutien concrets (p. ex. dans la gestion des jeunes agressifs) et informationnels (p. ex. se faire encourager à recourir à de l’aide). Les participants ont nommé que la reconnaissance des difficultés par les collègues était une condition nécessaire afin d’apprécier les efforts de soutien. Malheureusement, plusieurs participants n’ont pas bénéficié du soutien attendu de la part du superviseur ou des collègues en raison d’un manque de temps dus aux conditions de travail. Conclusion. Cette étude confirme qu’une proportion importante des travailleurs exposés à des EPT présentent des difficultés psychologiques. Bien que le soutien du superviseur et des collègues puisse aider les travailleurs à composer avec les conséquences d’un EPT, des barrières organisationnelles (p. ex. charge de travail élevée) briment ce soutien. Dans un tel contexte, l’IPT dans sa forme actuelle doit être bonifiée afin d’être une mesure de soutien efficace.