Résumé Plusieurs études démontrent une diminution importante des risques de décès chez les agents de police qui portent un gilet pare-balles (GPB). Cependant, certains patrouilleurs demeurent réticents à le revêtir à cause des inconforts qu’il engendre sur les plans thermiques et de la mobilité; ceux-ci représentent 8 % de l’ensemble des agents de police et 47 % des agents motards, ce qui accroît les risques pour leur sécurité. Les agents des unités motocyclistes seraient donc parmi les plus exposés, notamment en raison de conditions particulières telles que le travail à l’extérieur, la proximité d’une source de chaleur (moteur), le port de pièces d’uniforme supplémentaires (manteau, bottes, casque), ainsi que les postures et manœuvres de conduite nécessitant de grandes amplitudes articulaires. Ce projet de recherche découle à la fois d’une intervention ergonomique antérieure faisant état des contraintes thermiques et opérationnelles liées au port du GPB et d’un intérêt manifesté par le milieu après la diffusion de ces résultats auprès des membres de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail ‒ secteur affaires municipales (APSAM) et de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail – secteur administration provinciale (APSSAP) pour évaluer les contraintes liées au port de ce type de gilet dans les unités motocyclistes. Les objectifs de cette étude exploratoire visaient donc à étudier les contraintes ergonomiques liées au port du GPB par les agents motards, notamment les entraves à la mobilité et les astreintes thermiques, puis à élaborer des critères de sélection et de conception de gilets mieux adaptés à leur travail. La méthode déployée inclut à la fois une analyse ergonomique réalisée sur le terrain avec des agents motards en situations réelles et un protocole expérimental qui intégrait des simulations d’activités de travail « contrôlées ». Deux organismes policiers ont participé à l’étude : un organisme policier provincial (PP) et un organisme policier municipal (PM). La méthodologie comportait cinq grandes étapes : 1) une revue de la littérature incluant une analyse des modèles de GPB offerts et des données des organismes policiers; 2) une analyse de l’activité des agents motards (n = 5 motards) effectuée à l’aide d’observations, d’entrevues et d’un questionnaire spécifique sur les contraintes de mobilité; 3) une analyse des contraintes de mobilité lors du port du gilet (n = 16 motards) réalisée à l’aide d’une simulation expérimentale; 4) une analyse des contraintes thermiques lors du port du GPB réalisée aussi à l’aide de deux approches parallèles, soit : i) une approche ergonomique sur la contrainte thermique durant le travail réel en monitorant, entre autres, les indices physiologiques (température corporelle interne [TCI], température cutanée [Tcut], fréquence cardiaque [FC], coût cardiaque relatif [CCR]) et ii) une approche expérimentale en situation de simulation pour évaluer l’influence de certains déterminants sur la contrainte thermique, notamment le gilet, l’activité et le vêtement (terrain, n = 22 motards; simulations, n = 16 motards); 5) l’élaboration et la validation de critères de sélection et de conception de GPB qui sont adaptés aux caractéristiques de leur travail. Les résultats montrent que les unités motocyclistes dans les organismes de police jouent un rôle très important. Également, l’ensemble des conditions d’exécution du travail, notamment les aspects physiques, cognitifs et environnementaux, en font un travail exigeant, voire plus exigeant que celui en autopatrouille. Les valeurs de CCR recueillies sur le terrain montrent globalement une intensité de travail modérée sur le plan physique, mais les motards ont été soumis à plusieurs reprises à des exigences physiques lourdes (CCR > 30 %), très lourdes (CCR > 40 %), voire intenses (CCR > 50 %). Le port du GPB exacerbe les contraintes de mobilité et l’astreinte thermique déjà omniprésentes dans le travail. L’étude permet de montrer que le port de trois modèles de GPB a engendré des entraves et des points de pression plus marqués aux « épaules, creux de l’épaule et aisselles », et des inconforts plus intenses sur les « côtés » et sur « l’abdomen ». La coupe, le poids, l’ajustement et la souplesse des GPB à l’étude n’étaient pas en adéquation avec l’importante mobilité du tronc et des membres supérieurs, requise pour effectuer le travail, et aussi avec la position de conduite de la moto qui exige de nombreuses flexions et rotations du tronc, des postures liées à la montée et à la descente de la moto, au ciblage avec le cinémomètre, à la gestion de la circulation, etc. Le devant, les côtés et les poches du gilet interféraient avec les équipements du ceinturon. La plupart des agents motards ont été soumis à des astreintes thermiques importantes, dont des TCI supérieures à 38 °C, dépassant les valeurs critiques établies par le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et la British Occupational Hygiene Society (BOHS), pendant des périodes répétées et prolongées. L’ensemble des données convergent et témoignent de ces astreintes : indices physiologiques, verbalisations, réponses aux questionnaires, observations. À l’instar de la TCI, la Tcut moyenne était aussi plus élevée lorsque le GPB était porté. Des Tcut moyennes supérieures à 35 °C ont été mesurées chez la majorité des motards (n = 15/18). Cependant, l’intensité de l’activité physique du travail des motards s’est avérée être un facteur déterminant de l’élévation de la TCI, de la Tcut moyenne et du CCR des agents, plus que l’endossement du gilet lui-même, bien que celui-ci procure un effet isotherme qui maintient une température corporelle élevée. L’astreinte thermique était présente à des températures ambiantes aussi basses que 14 °C, voire 9 °C lors du port du manteau en cuir. Toutefois, les données de CCR et d’EPCT tendent à démontrer que la situation globale ne présente pas de risques pour la santé. Les verbalisations et symptômes notés se situent dans la catégorie des « malaises de chaleur modérés ». En ce qui concerne la perception globale des motards, elle corrobore les données d’astreinte thermique recueillies. Les conséquences du travail à la chaleur sont nombreuses : fatigue, maux de tête, étourdissements, irritations cutanées, baisse de la vigilance, difficulté à se concentrer, etc. L’étude montre également que les équipements comme la moto, le ceinturon et les autres pièces de vêtement, ainsi que leurs interactions avec le GPB, constituent d’autres déterminants qui peuvent exacerber les contraintes thermiques et de mobilité. La superposition de différents vêtements (T-shirt, chemise, sous-vêtements, pantalon, chaussettes, bottes, GPB, dossard de sécurité à haute visibilité) multiplie les couches de tissus, ce qui accroît les contraintes. Les pistes de changement portent sur les principaux déterminants qui participent à la genèse des contraintes thermiques et de mobilité, notamment (i) les critères de recouvrement, de choix des matériaux textiles (housse et panneaux balistiques) et de confection d’un GPB; (ii) la méthode d’essayage qui doit intégrer les gestes réellement déployés dans le travail; (iii) les technologies alternatives de refroidissement des gilets; (iv) les autres pièces d’équipements; (v) l’organisation du travail. Les perspectives de recherche portent, entre autres, sur la conception d’un nouveau design de GPB léger favorisant plus de souplesse et d’aération, et sur le développement d’une logique de conception et d’achat de pièces d’uniforme permettant d’éviter la superposition de plusieurs couches de tissu ou de matériau.