Résumé L’exposition aux bioaérosols de différents milieux de travail n’est pas étrangère au développement de maladies respiratoires; les moisissures y tiendraient d’ailleurs un rôle important. De par les activités qui y sont menées, certains milieux de travail génèrent de grandes quantités d’aérosols (incluant des moisissures), qui proviennent de la matière présente dans l’environnement. Des facteurs, tels que l’humidité relative et le type de ventilation du bâtiment peuvent accentuer l’effet de l’exposition aux moisissures dans les environnements touchés. La présence de moisissures dans l’air a d’abord été confirmée par l’emploi de méthodes d’analyse par culture. Ces méthodes dites classiques induisent un biais dans la représentation de la diversité fongique tant au niveau qualitatif que quantitatif. En effet, les méthodes d’analyse par culture ne permettent pas d’évaluer les risques réels auxquels font face les travailleurs lorsqu’ils sont en présence de moisissures non viables et/ou non cultivables dans les bioaérosols. Cela présente une lacune importante dans les connaissances disponibles concernant la diversité fongique des bioaérosols. Contrairement à la culture et à la quantification par amplification avec réaction en chaîne par polymérase (PCR) spécifique, les méthodes d’analyse taxonomiques à l’aide du séquençage d’ADN de nouvelle génération permettent d’étudier quantitativement et qualitativement la diversité fongique de l’air. Ces nouvelles approches de séquençage à haut débit nécessitent l’utilisation d’un segment standardisé du génome afin de pouvoir dresser un profil de diversité pour chaque échantillon. Pour l’étude des bactéries, le marqueur universel utilisé est le gène codant pour l’ARNr 16S. Toutefois, l’utilisation des séquences d’ADN pour identifier les moisissures se heurte au problème du choix de la région du génome à utiliser. À défaut d’avoir une région génomique parfaite, les différentes séquences proposées comme marqueurs universels fongiques et étudiées par la communauté scientifique depuis plusieurs années, présentent chacune des avantages et des inconvénients. Le gène codant pour la région ITS (Internal Transcribed Spacer) est le marqueur fongique universel choisi par le Consortium for the Barcode of Life (CBOL). L’ITS est une région située sur l’ADN génomique des eucaryotes entre les gènes codant pour l’ARNr 28S et 18S. Elle est composée de trois sous-régions : l’ITS1, l’ITS2 et le gène 5.8S. Afin d’explorer l’association entre les bioaérosols, l’exposition aux moisissures et les effets sur la santé respiratoire, l’objectif général de cette activité de recherche était de proposer une méthode d’analyse permettant de déterminer, de manière quantitative, la diversité fongique des bioaérosols, sans égard à leur culture. D’une manière plus spécifique, deux marqueurs génomiques fongiques ont été ciblés par l’approche de séquençage de nouvelle génération, soit l’ITS1 et l’ITS2, afin de comparer leur efficacité à décrire la diversité fongique d’un environnement. Pour ce faire, l’air contaminé particulièrement par la présence de moisissures a été échantillonné dans trois environnements de travail. Les sites de compostage et de biométhanisation ont été utilisés afin de mettre au point la méthodologie de traitement des échantillons ainsi que les régions de l’ADN fongique à cibler pour obtenir une grande diversité. Par la suite, un environnement pilote (fermes laitières) a été utilisé afin de comparer la performance de la méthode à celle des techniques classiques de culture. Les millions de séquences obtenues à la suite du séquençage de l’ADN extrait des échantillons ont été traitées à l’aide d’un protocole bio-informatique développé de façon spécifique pour le projet. Les résultats indiquent une richesse et une diversité fongiques plus élevées lors de l’utilisation du gène codant pour la région ITS1. Ils ont été confirmés lors de l’application de l’approche développée pour le compost aux échantillons prélevés dans des usines de biométhanisation. La robustesse de cette méthode a permis de décrire l’exposition des travailleurs dans ces deux environnements caractérisés par le traitement des déchets. L’identification de genres de moisissures ayant un potentiel pathogène ou allergène dans l’air échantillonnés dans des environnements de travail suggère la nécessité d’utiliser des moyens de protection pour les travailleurs. Par la suite, l’adaptation de l’approche élaborée, incluant le protocole bio-informatique de traitement des données et l’analyse de l’écologie microbienne, a permis de décrire la composition fongique de l’environnement pilote. Les cinq fermes laitières échantillonnées présentaient un profil fongique différent, démontrant l’influence du type de bâtiment et de l’alimentation des vaches sur la composition fongique des échantillons d’air. Les méthodes de culture ont permis la description de certaines espèces non détectées par les méthodes de séquençage, phénomène bien décrit en bactériologie. Toutefois, la richesse et la diversité sont très faibles en utilisant les méthodes de culture. Ces méthodes omettent un grand nombre de genres de moisissures dans leur description de la diversité fongique des bioaérosols. Complémentaire de la technique d’usage actuel, la méthodologie développée a permis d’obtenir un portrait beaucoup plus exhaustif et précis de la biodiversité fongique de l’air et de mieux comprendre les forces, les faiblesses et la complémentarité des méthodes disponibles. Elle pourra être utilisée dans l’étude de la diversité fongique des bioaérosols de l’air intérieur et extérieur. L’utilisation de cette approche dans un nombre grandissant de protocoles et d’environnements permettra de documenter un aspect essentiel à la compréhension du rôle des moisissures présentes dans l’air, en lien avec les maladies pulmonaires professionnelles, en plus de fournir des données solides qui sont essentielles aux études d’exposition humaine aux bioaérosols.