Résumé L’acouphène est un son perçu sans qu’il soit provoqué par une source sonore externe. Cette sensation auditive anormale, par exemple des bourdonnements, des tintements ou des sifflements, affecte une seule ou les deux oreilles. Elle peut grandement détériorer la qualité de vie et l’aptitude au travail d’une partie importante des personnes ayant une perte auditive. Dans les deux études décrites dans ce rapport, le modèle récent appelé gain auditif central a été utilisé pour intégrer les données normales et pathologiques dans un même cadre conceptuel. En bref, le « gain auditif central » est un mécanisme normal postulé pour expliquer que le système auditif module sa réponse lorsque les conditions acoustiques changent. Par exemple, lors d’une privation auditive, la sensibilité auditive augmente, tandis qu’elle diminue lors d’une stimulation auditive. Ce phénomène a été documenté chez les adultes dont l’audition était normale. Par contre, ce sont principalement les jugements subjectifs d’intensité qui ont été mesurés, laissant entières non seulement la question de l’existence, mais aussi celle de la localisation de ce mécanisme de gain auditif central. L’objectif de l’étude 1 était de démontrer l’existence du gain auditif central et de le localiser fonctionnellement. Deux groupes d’adultes ayant une audition normale ont porté des bouchons ou des générateurs de bruit pendant une semaine. Ils ont fait l’objet de tests avant et après la privation (bouchons) ou la stimulation (générateurs de bruit) sur une batterie d’évaluation de l’audition contenant des mesures allant de la cochlée jusqu’au cortex auditif. Les résultats démontrent que le système auditif module effectivement sa réponse en fonction des conditions acoustiques (privation ou stimulation, quoique plus modestement sur cette dernière), et que cette modulation s’effectue non pas au niveau périphérique (c’est-à-dire dans la cochlée), mais au sein du cortex auditif, soit au niveau le plus élevé du système auditif. En effet, aucun changement n’est observé en deçà de ce niveau. Ainsi la présence d’une modulation du gain auditif dont l’origine est purement centrale est appuyée par nos données. L’objectif de l’étude 2 était d’examiner si ce gain auditif central peut être modulé chez des adultes ayant des acouphènes. En effet, chez cette population, il a été proposé que le mécanisme de gain auditif central serait inadapté (c’est-à-dire trop important), et qu’il serait responsable de l’acouphène et de l’hyperacousie, laquelle se définit comme une hypersensibilité auditive. En effet, ce modèle propose que l’acouphène reflèterait une hyperactivité neurale spontanée alors que l’hyperacousie reflèterait une hyperactivité évoquée par les sons externes. En bref, le gain central auditif serait altéré de façon chronique chez les gens avec acouphènes et hyperacousie et constituerait le mécanisme pathophysiologique principal de ces troubles auditifs. Si c’est le cas, un retour à la normale des mécanismes d’adaptation du gain devrait se refléter par une diminution de la sensibilité observable dans les jugements de sonie de même qu’une diminution de l’intensité de l’acouphène. Dans l’étude 2, des participants souffrant d’acouphènes sans perte ou avec perte auditive ont porté des générateurs de bruit pendant trois semaines. Des mesures auditives et psychométriques ont été prises en préintervention, après une semaine de port de générateurs, après trois semaines, de même qu’un mois après la fin de l’intervention. Nos résultats en laboratoire suggèrent que le port de générateurs de bruit diminue la sensibilité aux sons externes et réduit la sonie de l’acouphène, et cela de façon plus importante dans le groupe sans perte auditive. L’intensité subjective de l’acouphène et le dérangement qu’il occasionne sur la vie quotidienne, tels que mesurés par des échelles visuelles analogues, diminuent également avec le traitement. Ces données préliminaires sont les premières issues d’un examen conjoint de deux tâches différentes (sonie de l’acouphène et fonctions de sonie) qui font appel à une modulation d’intensité (sons externes et acouphène) provenant possiblement d’un mécanisme commun, normal dans un cas et pathologique dans l’autre. Dans l’ensemble, nos données suggèrent que le mécanisme de gain auditif central, présent chez les participants dont l’audition est normale, peut être exploité avec succès pour mesurer objectivement l’amélioration des personnes souffrant d’acouphènes et d’hyperacousie suite au port de générateurs de bruit.