Résumé Les blessures musculosquelettiques, et plus particulièrement les affections vertébrales, constituent le premier facteur responsable des incapacités fonctionnelles au Québec. Ce type de blessures ou de condition musculosquelettique réduit de façon importante l’espérance de vie en bonne santé des travailleurs, dont ceux qui sont plus âgés. Avec le vieillissement attendu de la main-d’œuvre québécoise, il est primordial d’améliorer les interventions cliniques dans ce secteur de la santé et de s’attarder aux travailleurs qui seront éventuellement appelés à prolonger la durée de leur participation active sur le marché du travail dans les prochaines décennies. Au-delà de la simple lésion, les blessures, dysfonctions et pathologies musculosquelettiques entraînent aussi, sur le plan individuel, des conséquences psychologiques importantes. Sur le plan sociétal, la gestion de ce type d’affections entraîne d’importants coûts socio-économiques. La société occidentale qui a vu, au cours des dernières décennies, une augmentation de la disponibilité des services et de l’accessibilité aux soins de santé, a aussi parallèlement connu une explosion du nombre de consultations pour les affections musculosquelettiques. Parmi ce type d’affections, l’une d’entre elles semble s’être démarquée par sa prévalence et son incidence élevées, sa complexité et les dépenses importantes qui y sont associées. Les douleurs lombaires constituent désormais le second motif de consultation médicale, et la principale blessure d’ordre musculosquelettique. De fait, dans les sociétés industrialisées, la prévalence à vie des lombalgies varie entre 70 % et 85 %, tandis que la prévalence annualisée oscille entre 15 % et 45 %. Considérant cette réalité et son impact important au sein des populations actives de travailleurs, l’équipe a tenté, par l’entremise d’une étude de cohorte longitudinale, de déterminer les facteurs cliniques, psychologiques et physiques qui expliquent l’apparition et le développement de l’incapacité associée aux affections qui présentent un historique de douleurs lombaires. L’objectif principal de l’étude consistait à déterminer si la douleur initiale, les facteurs psychologiques qui lui sont associés, les capacités motrices en présence de douleur et les mécanismes de modulation de la douleur jouent un rôle dans l’évolution des incapacités fonctionnelles et l’absentéisme associés à la lombalgie chez un groupe de travailleurs ayant connu au moins un récent épisode significatif de lombalgies. Dans le cadre de cette étude, 100 travailleurs présentant une histoire de lombalgie non spécifique ont été recrutés. Tous ces travailleurs ont participé, sur une période d’environ 15 mois, à trois évaluations en laboratoire au cours desquelles différents paramètres physiologiques (activité musculaire, patrons de mouvement et profil de sensibilité à la douleur) ont été appréciés. Les participants devaient aussi prendre part à une évaluation clinique, au cours de laquelle l’évolution de la douleur clinique, les incapacités fonctionnelles et différents facteurs psychologiques associés à la douleur ont été évalués. Ces mesures ont permis à l’équipe de recherche d’établir les facteurs qui permettaient de prédire l’incapacité et l’absentéisme associés aux douleurs lombaires à court (au moment de l’évaluation initiale), moyen (7 mois) et long (15 mois) termes. Les résultats de notre étude montrent que les travailleurs qui y ont participé présentaient des niveaux de douleur et d’incapacité légers au moment de leur inclusion dans ce projet, et ce, bien qu’ils aient tous rapporté des épisodes de lombalgie au cours des dernières années. Parmi les facteurs associés à l’incapacité et à l’absentéisme des travailleurs, les variables cliniques couramment utilisées en milieu pratique (évaluation de la douleur actuelle) ainsi que plusieurs états psychologiques mesurés par questionnaires semblent les plus efficaces à prédire le statut fonctionnel des travailleurs à court, moyen et long termes. Les capacités motrices en présence de douleur et les mécanismes de modulation de celle-ci n’ont pas permis pas de prédire, au sein de notre échantillon de travailleur, le statut clinique des travailleurs atteints de lombalgie. Ces résultats nous amènent à penser que la prise en charge des travailleurs atteints de lombalgie et d’incapacités associées devrait se faire dans une perspective globale qui comprend l’historique, la nature des épisodes passés et les facteurs psychologiques des douleurs lombaires. Les épisodes douloureux ne devraient donc pas être considérés et traités comme des phénomènes isolés. Par conséquent, les outils d’évaluation et de suivi des travailleurs atteints de lombalgie devraient comprendre des outils qui prennent en compte l’évaluation de l’incapacité et de la douleur, mais aussi des facteurs psychologiques qui influencent l’évolution de la condition.