Résumé Les absences prolongées du travail, et particulièrement celles liées aux troubles mentaux courants (TMC) et aux troubles musculosquelettiques (TMS), engendrent des coûts économiques et humains considérables. Devant cet enjeu, il apparaît nécessaire de mieux comprendre les facteurs qui nuisent au retour au travail (RAT) de ces deux populations. Selon la littérature, il est bien établi que le RAT est le résultat d’une interaction complexe entre l’individu et les acteurs provenant de divers systèmes tels que le milieu de travail, le système de santé et celui de l’indemnisation. Mis à part quelques particularités ou caractéristiques individuelles telles que les symptômes inhérents à un trouble particulier, ou encore la variation des délais de rétablissement, les obstacles perçus par les personnes souffrant d’un TMC ou d’un TMS lors de leur processus de RAT se recoupent en général, à tel point que de récents travaux commencent à étudier les travailleurs en incapacité comme une seule et même population, sans égard à la nature de la maladie ou de la lésion. La littérature met en exergue le besoin non seulement d’évaluer les obstacles perçus lors du RAT, mais aussi de prendre en compte le sentiment d’efficacité pour les surmonter, deux notions essentielles et complémentaires à l’évaluation des facteurs du RAT. Or, dans la littérature, il n’existe à notre connaissance aucun outil adapté aux populations aux prises avec un TMC ou un TMS qui mesure à la fois les obstacles liés au RAT et le sentiment d’efficacité pour les surmonter. L’objectif de cette étude prospective visait la validation de l’outil intitulé « Obstacles au Retour au Travail Et Sentiment d’Efficacité pour les Surmonter » (ORTESES) auprès d’employés en processus de RAT suite à un TMC ou un TMS. Plus précisément, il s’agissait de valider les propriétés psychométriques relatives à l’ORTESES : (1) validité de contenu, (2) validité apparente, (3) validité de construit, (4) stabilité temporelle (fidélité) et (5) validité prédictive. Cette étude comportait trois phases. D’abord, dans la phase 1, les participants qui répondaient aux critères d’inclusion et qui ont consenti à participer à l’étude ont rempli le questionnaire ORTESES (TMC (n=157) ou TMS (n=206)) et un questionnaire sociodémographique. Ensuite, la phase 2 a eu lieu une à deux semaines plus tard, pour répondre aux exigences de l’évaluation de la fidélité test-retest. Enfin, la phase 3, qui se déroulait six mois après la phase 1, a permis d’évaluer la validité prédictive de l’ORTESES grâce à l’utilisation d’analyses de régression. Tous les participants de la phase 1 étaient alors recontactés par téléphone pour prendre connaissance de la reprise ou non de leur activité professionnelle. Validités de contenu et apparente. La version initiale de l’ORTESES comptait 97 énoncés répartis entre six grandes catégories conceptuelles. Validité de construit. Au terme des analyses factorielles (exploratoires et confirmatoires) et des analyses de cohérence interne effectuées sur les catégories conceptuelles construites a priori, un total de 46 énoncés répartis sur dix dimensions sont ressorties: (1) appréhension d'une rechute, (2) difficultés cognitives, (3) difficultés liées aux médicaments, (4) exigences du poste de travail, (5) sentiment d'injustice organisationnelle, (6) relation difficile avec le supérieur immédiat, (7) relations difficiles avec les collègues, (8) relations difficiles avec la compagnie d’assurance, (9) conciliation famille-travail difficile, (10) perte de motivation à retourner au travail. Fidélité. Les résultats des analyses de corrélation ont montré que les dix dimensions demeurent stables dans le temps (2 semaines) chez les deux populations (TMC et TMS). Validité prédictive. En plus du nombre de semaines d’absence du travail et de la douleur perçue, quatre dimensions (obstacles perçus et sentiment d’efficacité) prédisent le RAT des personnes ayant un TMS : l’appréhension d’une rechute, les exigences du poste de travail, le sentiment d'injustice organisationnelle, la relation difficile avec le supérieur immédiat. Chez les personnes ayant un TMC, ce sont seulement les exigences du poste de travail et les difficultés cognitives qui ressortent comme significatives. En conclusion, cette étude a permis de valider l’outil intitulé ORTESES. Elle comble un vide théorique dans la littérature en montrant que les obstacles biopsychosociaux ainsi que le sentiment d’efficacité pour les surmonter doivent être pris en compte dans la prédiction du RAT de personnes aux prises avec un TMC ou un TMS. Sur le plan clinique, l’étude offre aux intervenants la possibilité de travailler avec un outil valide et d’administration brève – 46 énoncés couvrant dix dimensions – qui leur permettra d’évaluer systématiquement ces deux notions chez leurs clients. Ainsi, ils pourront optimiser leurs interventions en vue de faciliter le RAT de leurs clients. L’ORTESES est donc un outil de travail et de dialogue pour les deux interlocuteurs. Une fois effectuée l’identification des dimensions ou couples d’énoncés « problématiques », l’intervenant peut entamer une discussion avec son client et mettre en place l’intervention et les stratégies pertinentes. Enfin, l’intervenant pourra décider d’utiliser l’ORTESES comme outil de suivi dans le but d’évaluer si certains obstacles disparaissent ou persistent dans l’environnement de travail ou dans la vie personnelle de son client.