Résumé Plusieurs études ont montré qu’une faible expérience en emploi, souvent caractéristique des très jeunes travailleurs, était associée à une augmentation du risque de subir une lésion professionnelle. Parmi les jeunes travailleurs, les plus susceptibles de se blesser au travail sont ceux qui ont quitté l’école sans diplôme d’études secondaires, ceux qui occupent des emplois manuels ainsi que ceux qui éprouvent des difficultés d’apprentissage objectivées. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) a mis sur pied en 2007-2008 la Formation menant à l’exercice d’un métier semi-spécialisé (FMS), qui s’adresse justement à ces jeunes considérés plus à risque de subir une lésion professionnelle. Au cours de cette formation, les élèves âgés de 15 à 17 ans réalisent un stage en entreprise de 375 heures réparties sur une année scolaire. Au Québec, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelle définit un accident du travail comme un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle. La présente étude s’intéresse aux événements imprévus rencontrés par des élèves de la FMS au cours de leurs stages d’apprentissage. Ces imprévus peuvent être des événements totalement nouveaux ou des événements connus des stagiaires, mais dont la survenue est imprévisible. Un imprévu perturbe le déroulement normal du travail du stagiaire et peut, dans certaines circonstances, se traduire par un incident, voire un accident du travail. En effet, l’événement imprévu peut être intrinsèquement un risque pour la santé et la sécurité du stagiaire, par exemple un stagiaire plongeur dans un restaurant qui se blesse à la main en cassant un verre qu’il était en train de laver. Ou bien, ce sont les variations, que l’imprévu occasionne dans l’activité du stagiaire, qui présentent des risques. C’est, par exemple, le cas d’un stagiaire aide-imprimeur qui se brûle en essayant de redémarrer une soudeuse de films plastiques, tombée en panne quelques minutes auparavant. Pour faire face aux imprévus, le stagiaire met en œuvre des stratégies, qui peuvent être plus ou moins adaptées en fonction de son expérience de la situation. La recherche vise à identifier et à classer les types d’imprévus qui surviennent, leurs causes immédiates, les stratégies observées pour y faire face, qu’il s’agisse de stratégies individuelles ou collectives, ainsi que de documenter les conséquences de l’activité de travail comme la perte de temps et les risques de blessures. Pour cela, des données d’observation tirées de séquences vidéo récoltées lors d’une recherche précédente auprès de neuf stagiaires en FMS, à l’occasion de deux journées de stage (T1 et T2), ont été analysées. Les neuf stagiaires œuvraient dans des secteurs d’activité diversifiés : commerce, industrie et alimentation. Le cadre conceptuel exploité pour ces analyses est le modèle de la situation de travail centré sur la personne en activité, qui est utilisé en ergonomie. Les résultats de la recherche montrent que les neuf élèves font face à divers types d’événements imprévus, en lien avec le secteur d’activité de l’entreprise où ils effectuent leur stage et le type de tâche qu’ils réalisaient lors des observations, et ce, dans des proportions assez similaires au début (T1) et à la fin du stage (T2). Au total, ils ont rencontré 554 événements lors des deux journées. Près de 10 % de ces imprévus ont occasionné des pertes de temps et environ 19 % d’entre eux comportaient des risques pour la santé et la sécurité des stagiaires. Plus de la moitié des événements susceptibles de causer un accident ont été associés à certains contextes de travail de trois stagiaires, soit l’ouvrier du bois, le préposé aux marchandises dans un magasin d’appareils électroménagers / électroniques et l’aide-boucher. Les résultats indiquent que ces trois élèves ont à réaliser des tâches de manutention lourde. Parmi tous les types d’imprévus observés, les difficultés de manutention se classent au 4e rang; pourtant, elles occupent le 1er rang des imprévus qui ont été associés à un risque d’accidents. Par ailleurs, l’action ou la technique de travail du stagiaire est souvent mise en cause dans les imprévus qui peuvent être associés à une activité de manutention. Cela permet d’établir des liens avec les nombreuses études qui ont mis en évidence le savoir-faire des experts en manutention qui se développe avec l’expérience. Pour faire face à ces imprévus, les élèves ont pu recourir uniquement à des stratégies individuelles, uniquement à des stratégies collectives ou aux deux. Cependant, dans la grande majorité des cas, ils ont pris l’initiative de mettre en œuvre des stratégies individuelles. Ils ont essayé de trouver seuls des façons de faire adéquates plutôt que demander de l’aide. Ainsi, ils ont tenté de résoudre les problèmes occasionnés par les événements imprévus, effectué des tâches additionnelles pour réparer une erreur. Seuls les trois élèves (l’aide-imprimeur, l’aide-boucher et l’aide-cuisinier) qui bénéficiaient d’un environnement social plus riche ont proportionnellement déployé plus de stratégies collectives que les autres. Ces stratégies collectives étaient en majorité initiées par leurs collègues qui leur fournissaient une formation à la suite de la survenue de l’imprévu pour les aider à réaliser la tâche. La survenue de l’imprévu constituait alors une opportunité d’apprentissage. Plusieurs suggestions pour les organisations peuvent être formulées à partir des résultats de la présente étude : Analyser certaines catégories d’événements imprévus qui mènent à des risques d’accident afin de proposer des mécanismes de prévention conséquents ; Fournir aux novices des occasions d’apprentissage en s’assurant de graduer le niveau de complexité ainsi que les sources de contraintes ; Enrichir la formation en milieu de travail en reproduisant des situations imprévues ou soudaines, mais crédibles dans le contexte, afin de fournir des occasions de mises en œuvre de stratégies adaptées, sous supervision et en donnant de la rétroaction ; Analyser particulièrement les tâches de manutention que le novice aura à accomplir et adopter des stratégies de formation ; Considérer l’importance de la dimension motrice de l’apprentissage lors de la formation et prévoir des mécanismes pour encourager la transmission des savoirs utiles à l’apprentissage des savoir-faire et des modes opératoires efficients ; Porter une attention particulière aux ressources humaines en milieu de travail qui pourront transmettre leurs savoirs professionnels et ainsi contribuer au développement des compétences réflexives. Les résultats de la présente recherche seront intégrés à un projet d’implantation d’outils d’aide à l’apprentissage de la santé et de la sécurité du travail pour les élèves de la FMS. Ces outils s’accompagneront de supports de formation, tant pour les enseignants responsables de les mettre en œuvre, que pour les élèves et les entreprises qui acceptent de les accueillir et de les former.