Résumé En remplacement des dégraissants et nettoyants traditionnels, qu’ils soient à base de solvants ou de tensioactifs, on retrouve actuellement sur le marché des préparations à base de bactéries et d’enzymes pour le nettoyage de surfaces en milieux industriel et institutionnel. Des préparations enzymatiques sont également utilisées en milieu de soins pour le nettoyage d’instruments chirurgicaux et diagnostiques. Mises à part les fiches de données de sécurité et les fiches techniques fournies par les fabricants, les hygiénistes et les médecins du travail et de l’environnement, ainsi que les autres spécialistes du domaine de la santé et de la sécurité du travail ne possèdent que des données fragmentaires sur la composition de ces préparations. De plus, ces préparations sont souvent publicisées comme des produits idéaux, verts et atoxiques. La présente monographie vise à présenter de façon synthétique et critique les connaissances sur les aspects de la santé, de la sécurité, de l’environnement et techniques de ces produits biotechnologiques, de manière à guider les intervenants qui sont appelés à les évaluer, à les recommander ou à les utiliser. La méthode retenue consiste principalement en une revue de la littérature scientifique et technique. Cette recherche repose aussi sur la consultation d’intervenants représentant divers secteurs d’activité et sur l’observation de quelques milieux dans lesquels les travailleurs sont exposés à ce genre de préparations.Les biofontaines utilisent des préparations aqueuses formulées avec des bactéries de risque infectieux faible ou nul (dites de groupe 1). Elles remplacent de plus en plus souvent les fontaines traditionnelles à base de solvants, particulièrement dans le domaine de l’entretien mécanique. L’élimination des solvants y est avantageuse d’un point de vue sécuritaire et sanitaire. À l’exception d’un cas de sensibilisation respiratoire rapporté dans la littérature, aucun effet sur la santé n’a été démontré à la suite de leur utilisation. Par ailleurs, la protection de l’environnement y est renforcée puisque les bactéries transforment en grande partie les salissures organiques (huiles, graisses) en eau et en dioxyde de carbone. Cependant, certaines études montrent la présence, dans des biofontaines en cours d’utilisation, de bactéries présentant un risque infectieux modéré pour les individus (dites de groupe 2). Il est recommandé aux utilisateurs de se protéger la peau (gants, vêtements à manches longues) et les yeux (lunettes de sécurité) ainsi que de se conformer à diverses mesures d’hygiène individuelle. La génération d’aérosols est possible lorsqu’il y a utilisation de soufflettes pour le séchage des pièces nettoyées. En l’absence de données sur ce type d’exposition par inhalation, il est recommandé de rincer les pièces à l’eau avant ce séchage ou sinon de porter un appareil de protection respiratoire (APR) à pièce faciale filtrante (masque jetable) N-95. Ce travail a également permis de documenter l’utilisation de préparations bactériennes appliquées par pulvérisation. Dans ce type de situation, le port d’un APR à pièce faciale filtrante (masque jetable) N-95 serait recommandé, en l’absence de données métrologiques.Les détergents à base d’enzymes sont largement utilisés dans les milieux de soins pour le nettoyage des instruments chirurgicaux et diagnostiques. La littérature rapporte quelques cas de sensibilisation respiratoire de travailleurs manipulant de tels nettoyants à base de subtilisine, l’enzyme la mieux documentée dans ce contexte et la seule faisant l’objet d’une valeur limite d’exposition au Québec. Il n’y a encore que très peu de données sur les niveaux d’exposition à la subtilisine ni aux autres enzymes dans ces milieux, bien que la présence d’aérosols soit possible, notamment lors de l’utilisation de soufflettes pour le séchage des instruments. En attendant que les niveaux soient mieux documentés, si l’on soupçonne la présence d’aérosols et que l’on ne dispose pas de hotte de laboratoire, notamment lors du lavage manuel des instruments, il semble approprié de recommander le port d’un APR à pièce faciale filtrante (masque jetable) et non d’un simple masque chirurgical. Par ailleurs, pour la protection contre de possibles éclaboussures, l’APR devrait résister aux projections liquides. Le port de gants, blouse à manches longues, protection oculaire, bonnet et couvre-chaussures est aussi recommandé. Ce travail a permis en outre de documenter certaines autres utilisations de préparations bactériennes ou enzymatiques, particulièrement pour l’entretien ménager institutionnel et dans l’industrie alimentaire. On note une documentation très insuffisante sur la composition de ce type de produits, leurs utilisations, les expositions professionnelles et leurs effets potentiels sur la santé.En ce qui concerne plus spécifiquement les nettoyants bactériens, il faut noter la possibilité qu’ils soient certifiés sur une base volontaire avec une étiquette écologique selon la norme ÉcoLogo DCC-110, qui assure que certains critères liés à la protection de l’environnement sont respectés, qu’ils ne contiennent pas de microorganismes pathogènes et qu’ils sont techniquement performants. Dans un contexte où l’encadrement réglementaire de l’utilisation de microorganismes en milieu de travail est insuffisant, l’application de cette norme doit être encouragée.En conclusion, les nettoyants et dégraissants bactériens et enzymatiques occupent une place de plus en plus importante sur le marché. Bien que dans l’ensemble peu d’effets sur la santé en milieu de travail aient été documentés à la suite de leur utilisation, les risques existent et divers moyens de protection individuelle sont recommandés, selon les circonstances. Des études métrologiques devraient être entreprises pour documenter la nature et les niveaux d’exposition aux bactéries et enzymes dans les circonstances les plus susceptibles de générer des aérosols. Vu la nature exploratoire des données de terrain dans cette recherche, il serait important également qu’une cartographie soit établie sur l’utilisation de ces produits dans les milieux de travail québécois.