Résumé L’utilisation de prélèvements ponctuels pour la mesure de la concentration urinaire de biomarqueurs est une pratique courante dans le cadre des activités de surveillance biologique de l’exposition professionnelle. Afin de tenir compte du degré de dilution des urines, les concentrations urinaires mesurées dans ce type de prélèvements sont généralement corrigées en fonction de la créatinine ou de la densité spécifique urinaire. Cependant, certains auteurs remettent en question l’un ou l’autre de ces modes de correction en raison de leur trop grande variabilité ou parce qu’ils ne reflètent pas fidèlement les mécanismes d’excrétion des indicateurs biologiques. L’objectif de cette recherche visait à déterminer le meilleur mode d’ajustement pour tenir compte du degré de dilution des urines lors d’un prélèvement ponctuel. Une revue de la littérature portant sur ce sujet a été effectuée pour la période allant de janvier 1990 à juin 2013. La base de données du système informatisé de gestion des analyses de laboratoire de l’IRSST (LIMS) a été interrogée pour les années 1985 à 2010 afin de documenter les relations existant entre les différentes concentrations urinaires, corrigées ou non, des indicateurs biologiques des 22 substances considérées dans la présente étude. Des statistiques descriptives et une modélisation, utilisant des modèles linéaires à effets mixtes, ont également été effectuées sur les données de créatinine et de densité spécifique.Les résultats de la revue de la littérature réalisée dans le cadre de cette étude indiquent que la correction par la créatinine peut parfois entraîner un biais important dans l’estimation de l’exposition chez les individus ou les populations de différents âge, sexe, ethnicité et masse musculaire alors que la correction par la densité spécifique serait moins influencée par ces différents facteurs. De plus, la mesure de la densité spécifique requiert une méthode plus simple et moins chère que la mesure de la créatinine. En se basant sur ces données, il ressort que la correction par la densité spécifique représente une alternative intéressante à la correction par la créatinine. Bien que la correction par la densité spécifique semble la plus appropriée, le choix du mode de correction devra tenir compte des unités dans lesquelles les indices biologiques d’exposition (IBE) sont exprimés. Il est cependant possible de calculer de façon rigoureuse les valeurs d’IBE exprimés selon ces deux modes de correction en utilisant les équations des droites de régression calculées dans la présente étude à partir des données du LIMS. Ces équations décrivent la relation existant entre les concentrations corrigées par la créatinine et celles corrigées en fonction de la densité spécifique pour les différents indicateurs à l’étude. La variation du débit urinaire affecte l’excrétion de la plupart des indicateurs biologiques, incluant la créatinine et la mesure de la densité spécifique. Pour cette raison, dans le cadre des activités de surveillance biologique, il apparaît justifié de rejeter les prélèvements urinaires trop dilués (densité spécifique < 1,010; créatinine < 4,4 mmol/l) ou trop concentrés (densité spécifique > 1,030; créatinine > 26,5 mmol/l). Des auteurs ont proposé une méthode de correction permettant de tenir compte de l’effet du débit urinaire sur l’excrétion rénale des indicateurs biologiques. Cependant, même si ce mode de correction semble justifié et prometteur, l’absence de valeur de référence limite grandement son utilisation. Des statistiques descriptives ont été réalisées sur les données de créatinine et de densité spécifique contenues dans la base de données du LIMS. Les valeurs moyennes de créatinine calculées chez les hommes (n=17 873) et les femmes (n=2 323) sont respectivement de 15,0 ± 6,4 et 10,9 ± 6,1 mmol/l. Selon les résultats de la modélisation, les concentrations de créatinine chez les femmes sont en moyenne de 25 % à 30 % plus faibles que celles mesurées chez les hommes. Les valeurs de créatinine retrouvées dans la présente étude se comparent aux données publiées dans d’autres études effectuées chez des travailleurs. Les valeurs moyennes de densité spécifique calculées chez les hommes (n=17 811) et les femmes (n=2 385) dans la présente étude sont respectivement de 1,023 ± 0,006 et 1,019 ± 0,007. Selon les résultats de la modélisation, les valeurs de densité spécifique sont en moyenne 10 % (fin de quart) et 15 % (début de quart) plus faibles chez les femmes comparativement aux hommes. Pour les hommes, les résultats sont plus élevés de 5 % à la fin du quart de travail comparativement à un prélèvement effectué en début de quart. D’autres auteurs rapportent également des valeurs moyennes de densité spécifique significativement plus faibles chez les femmes comparativement à celles analysées chez les hommes. Ainsi, à l’instar de la créatinine, les valeurs de densité spécifique semblent plus faibles chez les femmes que chez les hommes ce qui pourrait s’expliquer par une plus faible masse musculaire chez la femme. La revue des résultats de la littérature a permis de mettre en évidence que les concentrations urinaires des indicateurs biologiques corrigées par la densité spécifique sont moins influencées par l’âge, le sexe et la masse musculaire des individus que les résultats corrigés par la créatinine. Cependant, puisque plusieurs valeurs de référence disponibles à ce jour dans la littérature sont exprimées en fonction de la créatinine, il est important, avant de choisir un mode de correction, de considérer les unités dans lesquelles les dites valeurs de référence sont exprimées, afin de permettre une interprétation adéquate et une comparaison des données de surveillance biologique. À notre avis, la correction par la densité spécifique présente plusieurs avantages comparativement à celle par la créatinine, de telle sorte que l’utilisation de ce mode de correction devrait être considérée, sinon privilégiée, dans les études futures visant la proposition de valeurs de référence pour la surveillance biologique de l’exposition professionnelle.