Résumé Les préposés aux bénéficiaires (PAB) ont comme mandat de réaliser l’ensemble des activités d’assistance envers les résidents des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) au Québec. Ils exercent une fonction indispensable dans les CHSLD, alors que le vieillissement de la population s’accentue, que les problématiques physiques et cognitives des résidents s’aggravent et que la réponse à leurs besoins se complexifie. Les PAB forment également une catégorie professionnelle fragilisée dans le réseau de la santé et des services sociaux du Québec, notamment sur le plan de la santé et de la sécurité au travail (SST). À cet égard, ils représentent dans le réseau le premier type d’emploi à risque de subir des lésions professionnelles (LP) et cumulent un nombre élevé de jours d’absence du travail pour causes de TMS ou problème psychologique. Précisément, c’est souvent d’un « manque de temps » qu’il est question lorsque les PAB sont interrogés sur les enjeux qu’ils vivent concrètement, en situation de travail. Ils mentionnent en priorité leur incapacité à réaliser une pratique relationnelle de qualité avec les résidents. La difficulté porte sur le fait de répondre aux objectifs difficilement conciliables des CHSLD, soit de réaliser l’ensemble des activités quotidiennes de soins aux résidents exigée par l’organisation tout en assurant une qualité des services. Plusieurs écrits récents mentionnent que, pour concilier ces objectifs qui peuvent être perçus comme contradictoires, les PAB tentent de réguler leurs rythmes de travail, par le biais de l’élaboration et de l’application de stratégies spécifiques, dites « stratégies de régulation des temporalités »; celles-ci leur sont utiles pour accélérer le rythme de travail et parvenir à effectuer un nombre spécifique de tâches dans un créneau horaire limité. Selon la littérature, les PAB, loin d’appliquer les pratiques apprises en formation dans le cadre du travail réel, sont plutôt susceptibles de créer collectivement des stratégies de régulation des temporalités qui ne faisaient pas partie ou n’ont pas été transmises durant la formation initiale. Il existe pourtant une formation, développée par l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS), dont l’objectif est de transmettre à l’ensemble des PAB des principes utiles et efficaces visant la prévention des LP. Le nom de cette formation est Principes de déplacement sécuritaire des bénéficiaires (PDSB). Le présent projet vise à comprendre si les stratégies de régulation des temporalités créées et utilisées par les PAB contraignent l’appropriation et l’application générale du PDSB, principalement pour les moins expérimentés. L’hypothèse selon laquelle ces stratégies influencent fortement le travail des PAB et qu’elles sont principalement la conséquence de balises temporelles imposées par l’équipe des soins (infirmières, infirmières auxiliaires, etc.) et par les autres secteurs du CHSLD (loisirs, alimentation, etc.) est formulée. Cette étude qualitative découle de la réalisation de 22 entrevues semi-dirigées avec plusieurs intervenants de CHSLD (PAB, agents syndicaux, préventionnistes, infirmières auxiliaires, infirmières, chefs d’unité de vie, gestionnaires administratifs), ainsi que d’observations et d’autoconfrontations auprès de PAB peu expérimentés, et ce, dans trois CISSS/CIUSSS différents. Le constat général de cette étude est que l’organisation du travail complexifie nettement l’appropriation et l’application du PDSB par les PAB. Plusieurs raisons justifient cette analyse. L’idée première est que l’intensification de la charge de travail conduit à une routine de travail et est liée à la présence de balises temporelles, c’est-à-dire à un souci portant davantage sur la productivité que sur la SST, en vue de réduire la charge cognitive relative au fait de « finir dans les temps ». En ce sens, la SST s’inscrit davantage dans la réflexion des PAB comme un enjeu de santé psychologique associé au fait d’être en mesure de répondre aux objectifs fixés sur le plan de la charge de travail; y parvenir est considéré comme une marque de compétence. La seconde raison est fondée sur le fait que les moyens organisationnels et matériels ne sont pas suffisants pour permettre de maîtriser les enjeux relatifs au PDSB soit l’inadéquation de la période d’intégration des recrues, les lacunes en matière d’espaces et d’équipements de travail, et le manque d’appui des supérieurs. La troisième raison évoquée concerne la faible participation des PAB au processus d’organisation du travail qui pourrait permettre, pourtant, de réduire les conflits entre enjeux de productivité, enjeux relationnels et enjeux de SST. Une quatrième et dernière raison porte sur le processus de délégation de la responsabilité de la formation PDSB, des gestionnaires administratifs aux PAB en passant par les chefs d’unité de vie (CUV) et les infirmières et infirmières auxiliaires. Aux yeux des gestionnaires, les PAB deviennent individuellement responsables de l’appropriation et de l’application des principes du programme PDSB, sans égard aux contraintes organisationnelles associées à cette responsabilité. Le PDSB, pour autant, n’est pas totalement évacué de la pratique des PAB. Ils prennent appui sur certains savoirs issus de cette formation pour effectuer leurs manœuvres et activités. Il semble clair néanmoins que, dans le cadre de leurs activités, les PAB ont peu de temps pour réfléchir aux consignes relatives à la mise en œuvre du PDSB, principalement en raison des rythmes de travail que les PAB disent devoir respecter. De plus, ils déplorent qu’il n’y ait pas de réflexion sur l’application du PDSB, sauf durant la phase d’intégration, le suivi du programme PDSB et lors de la présence des agents de suivi, ou de la survenue d’un accident de travail. Sinon, l’intensité de la charge de travail et le respect des balises temporelles créent une routine qui intègre une diversité de stratégies de régulation des temporalités, complexifiant l’appropriation et l’application du PDSB. Deux recommandations transversales doivent être mentionnées. Il est établi que toute proposition de bonification de la formation PDSB doit prendre en considération l’existence de l’intensité de la charge de travail et de balises temporelles provoquant la routine organisationnelle et l’usage de stratégies de régulation des temporalités. Il est utile d’indiquer qu’un arrimage entre la méthode d’application de la formation et la réalité organisationnelle des PAB est fondamental pour la réussite du PDSB. La seconde perspective concerne la valorisation des PAB et leur participation aux décisions organisationnelles des CHSLD qui les concernent directement. Les établissements doivent permettre aux PAB de donner leur point de vue sur les éventuels enjeux qu’ils vivent dans l’organisation, relatifs notamment aux difficultés de mettre en application les savoirs issus des formations.