Résumé Depuis 2010, l’industrie utilise un nouveau genre de robot capable d’interagir avec les travailleurs en production ou simplement de partager le même espace de travail. On les appelle « robots collaboratifs » ou cobots. Le cobot se distingue des robots conventionnels par l’interaction entre la machine et le travailleur; il accompagne ce dernier, l’assiste ou l’aide à réaliser des tâches. Toutefois, ce changement technologique fait apparaître de nouveaux risques surtout en production : risques de collisions (puisque l’humain peut être en contact avec le cobot), risques de troubles musculosquelettiques (TMS) (même si le cobot est conçu pour les éviter, il faut savoir le manipuler correctement pour limiter ou éviter ces troubles), risques psychosociaux (stress lié aux mouvements du cobot et à sa cadence de production), etc. Face à cela, une étude exploratoire a été menée. Elle visait, d’une part, à émettre des recommandations en matière de sécurité au travail concernant la mise en œuvre de robots dans un contexte collaboratif et, d’autre part, à formuler des pistes de réflexion en vue d’outiller les intervenants au regard de l’implémentation d’installations cobotiques. Cette recherche comprend deux volets : l’un théorique et axé sur l’étude de plans et l’autre pragmatique et axé sur la réalité du terrain. Le premier volet visait à évaluer la manière dont les fonctions de sécurité du robot, qui transitent par des cartes électroniques dédiées à la sécurité, assurent la protection des opérateurs dans le cadre des quatre modes de fonctionnement collaboratif établis par la norme ISO 10218:2011 : 1) arrêt nominal de sécurité contrôlé, 2) guidage manuel, 3) contrôle de la vitesse et de la distance de séparation, 4) limitation de la puissance et de la force du robot. D’après la norme ISO 13849-1:2015, une fonction de sécurité d'une machine est une fonction dont la défaillance peut provoquer un accroissement immédiat des risques menaçant l’intégrité physique d’une personne. Par exemple, l’arrêt d’urgence sur une machine est une fonction de sécurité. Le second volet de l’étude visait à faire un retour d’expérience sur la prise en compte de la sécurité dans les projets d’intégration de robots collaboratifs au Québec. Ce retour d’expérience a été effectué auprès de trois types de participants : les utilisateurs (donneurs d’ouvrage) de robots collaboratifs, les intégrateurs et les travailleurs concernés. La partie « théorique » a été menée en analysant la documentation technique de trois robots : un dit « collaboratif » d’origine et deux conventionnels transformés en collaboratifs. De plus, une étude de cas succincte illustre l’implémentation d’une installation cobotique sur la base de l’analyse effectuée. Le volet « terrain » a été réalisé en observant des installations cobotiques dans quatre entreprises et en menant des entrevues semi-dirigées avec les participants concernés. L’étude de cas du volet théorique a montré que pour sécuriser un mode de fonctionnement collaboratif, il faut, selon le robot, combiner plusieurs fonctions de sécurité. Le volet théorique a notamment révélé que le niveau de performance établi par le fabricant pour un contrôleur dédié à la sécurité n’est pas garant du niveau de performance global de la fonction de sécurité qui y transite. En effet, la carte électronique dont est doté le contrôleur ne remplit que la partie « traitement de signal » des fonctions de sécurité. Ainsi, le donneur d’ouvrage qui fait l’acquisition d’un robot dit « collaboratif » muni d’un contrôleur qui respecte le niveau de performance exigé par la normalisation ne doit pas considérer que les fonctions de sécurité de ce robot respecteront nécessairement les exigences normatives. En effet, il est souvent nécessaire de compléter la fonction de sécurité du robot en y ajoutant un composant en entrée, tel qu’un dispositif de détection de présence. Les contraintes environnementales peuvent être, dans certains cas, un facteur prépondérant dans le choix du dispositif de détection. Le choix adéquat de ce composant est capital, car si ses performances de sécurité sont inférieures à celles de la partie « traitement », la fonction de sécurité sera moins fiable. Les exigences normatives recommandent des composants dits de sécurité. Le volet « terrain » de l’étude a démontré que la cobotique en est à ses débuts au Québec. Une seule des quatre entreprises visitées avait une installation cobotique en service. Les trois autres étaient en processus d’intégration. Aussi, d’autres entreprises contactées lors du recrutement pour les visites comptaient acquérir un robot dit « collaboratif » ou réfléchissaient encore à la manière de l’intégrer au processus de production. Les entreprises visitées ont choisi des cobots en raison de : 1) leur faible coût comparé à celui d’un robot conventionnel, 2) le retour rapide sur investissement, 3) la réassignation de tâches plus valorisantes aux travailleurs, 4) la contrainte d’espace, 5) la réduction potentielle des risques pour la santé et la sécurité du travail (SST). Ainsi, selon nos observations, ce n’est pas nécessairement un besoin d’interactions homme-robot en production qui suscite le recours à la cobotique, mais plutôt des motifs économiques, spatiaux et de SST. Les intégrateurs rencontrés ont confirmé que la conception d’une installation cobotique est une tâche complexe en raison de la nouveauté de la technologie et de ses exigences particulières en matière de sécurisation. L’étape la plus difficile selon eux est l’appréciation des risques. Souvent, elle se limitait à l’identification des risques. Or, pour savoir si un robot peut être utilisé dans un contexte collaboratif, il faut minimalement estimer les risques de l’installation future pour déterminer le niveau de performance minimal requis. Le niveau de performance des fonctions de sécurité doit être égal ou supérieur à ce minimum et en adéquation avec l’analyse des risques associés au fonctionnement collaboratif. Enfin, pour que la sécurité soit un élément décisif lors de la détermination des besoins et de l’intégration, il est important de l’inclure dans chaque fonctionnalité prévue de l’installation. Cette inclusion doit se faire dans le cadre d’un dialogue étroit entre le donneur d’ouvrage, l’intégrateur et le travailleur. D’après nos observations, le travailleur était peu impliqué dans le processus de détermination des besoins et d’intégration. Compte tenu de cette faible participation du travailleur dans l’appréciation des risques, qui est en soi une étape complexe, il est proposé de conduire des recherches sur la démarche d’appréciation des risques liés à la cobotique, en y intégrant l’analyse de l’activité des travailleurs. De plus, concernant la réduction du risque, certains aspects méritent d’être investigués, notamment : 1) la détection de présence, dans les modes 1 et 3, par des composants qui ne sont pas de sécurité, 2) l’applicabilité et l’acceptabilité des valeurs limites d’effort issues de la spécification technique ISO/TS 15066:2016. En effet, la proximité du travailleur par rapport au robot en production nécessite une évaluation du risque lié à un contact possible. En définitive, les robots dits « collaboratifs » ne riment pas systématiquement avec exemption de moyens de protection. L’appréciation des risques est toujours nécessaire à l’étape d’intégration, comme le spécifient les manuels de fabricants et les normes traitant de cobotique. Selon l’acceptabilité ou non du risque, des moyens de protection pourront être requis.