Summary Le nombre total d’arthroplasties du genou réalisées entre 2008 et 2009 a connu une augmentation significative par rapport à la décennie précédente, représentant une augmentation de 139 %. Cette augmentation est en partie attribuable au fait que la chirurgie procure une meilleure qualité de vie aux travailleurs vieillissants qui désirent demeurer actifs sur le marché du travail. De plus, l’innovation a amélioré la longévité des types de prothèses, de sorte que la chirurgie peut être proposée plus tôt dans la vie. Cet accroissement étant relativement récent, il existe peu de données dans la littérature permettant de situer la trajectoire de réadaptation des travailleurs et encore moins de déterminer les facteurs facilitants ou faisant obstacle au retour au travail (RT) ou au maintien durable en emploi. L’objectif général de ce projet était de mieux comprendre ce qui permet de reprendre ou non une vie saine et active au travail à la suite d’une arthroplastie totale du genou. Pour ce faire, quatre objectifs spécifiques ont été poursuivis : 1) Décrire les représentations que se font les travailleurs ayant eu une arthroplastie totale du genou de leur état de santé, de leur difficulté à reprendre leurs activités professionnelles ou à se maintenir au travail ainsi que de l’efficacité des traitements qui leur sont offerts pour favoriser leur RT, 2) Décrire les pratiques actuelles en réadaptation au travail de la population à l’étude, 3) Décrire les facteurs liés à l’environnement de travail, 4) Dégager les facteurs qui font obstacle et ceux qui facilitent le RT et le maintien durable en emploi de cette population. Pour répondre à ces objectifs, une étude de cas multiples contrastée sur le niveau de difficulté à retourner au travail a été retenue. Le cas se définit comme la trajectoire de réadaptation d’un travailleur ayant eu une arthroplastie totale du genou et qui vise un RT. Les sources d’informations provenaient du travailleur, de son ou ses intervenants en réadaptation au travail, ainsi que de son employeur et son syndicat, le cas échéant. Les cas ont été regroupés sous trois critères : 1) de retour au travail sans difficulté ; 2) de retour avec difficultés ; 3) pas de retour à cause de trop grandes difficultés. Environ six cas par groupe devaient être retenus pour favoriser l’atteinte de la saturation des résultats. Les travailleurs provenaient de trois centres hospitaliers urbains et semi-urbains. Les travailleurs devaient avoir subi une arthroplastie totale du genou; être âgés entre 18 et 64 ans; parler le français; avoir un lien d’emploi; occuper un emploi décrit comme étant manuel ou exigeant des efforts physiques avant la chirurgie et manifester l’intention de réintégrer son emploi ou l’avoir réintégré à la suite de la chirurgie; accepter qu’un membre de l’équipe de recherche puisse interroger l’intervenant en réadaptation qui a le plus récemment traité le travailleur, ainsi que les représentants de l’employeur et/ou du syndicat et être 3 à 12 mois postopératoire. Les travailleurs étaient inadmissibles s’ils avaient eu une arthroplastie totale bilatérale simultanée (deux prothèses en même temps) ou s’il s’était écoulé moins de six mois entre les deux chirurgies, s’ils avaient subi une chirurgie prothétique de révision, s’ils étaient travailleurs autonomes ou occupaient un travail à temps partiel, s’il était impossible pour l’équipe de recherche de se rendre sur les lieux de travail, s’il y avait des complications postopératoires non traitées et non résorbées (p. ex. : une infection, un descellement de la prothèse, une complication secondaire comme une pneumonie, une manipulation, une thrombophlébite). Les travailleurs n’étaient pas retenus s’ils souffraient de troubles mentaux sévères. Pour les sources d’information, différentes méthodes ont été utilisées, dont le recours à des questionnaires, la participation à des entrevues individuelles semi-dirigées et à des observations. Des analyses intra et intercas ont été effectuées. Un total de 17 cas a été constitué, dont 9 étaient syndiqués et 13 bénéficiaient d’assurances privées. au sein d’un même cas, les diverses sources d’information rapportaient essentiellement une information convergente. pour l’ensemble des cas, l’information relative aux pratiques actuelles en réadaptation a rapidement saturé. les objectifs de traitement visaient la récupération de l’amplitude articulaire et de la fonction, incluant l’acquisition d’une mobilité sans aide technique. les intervenants en réadaptation des travailleurs retenus ne rapportaient pas avoir effectué d’intervention spécifique de rt, puisque ce type d’intervention ne constitue pas un élément de leur mandat. la satisfaction des travailleurs à l’égard des soins reçus et de l’atteinte des objectifs du traitement de physiothérapie était généralement bonne. les informations relatives aux représentations des travailleurs ont aussi saturé concernant leur condition de santé et la chirurgie. L’analyse comparative des trois regroupements de cas en fonction des niveaux de difficulté à retourner au travail a permis de faire ressortir des cas types en fonction de certaines représentations de la condition de santé, de la perception des soins, mais surtout en fonction des facteurs liés à l’environnement de travail. Ceux-ci portaient sur les exigences physiques du travail, les moyens offerts par l’employeur, les stratégies développées par le travailleur, ainsi que ses capacités physiques. Pour les cas de RT sans difficulté, les exigences physiques étaient plus faibles comparativement à celles observées au sein des cas ayant éprouvé des difficultés à retourner au travail ou de ceux qui n’étaient pas de RT à cause de trop grandes difficultés. Pour ceux n’ayant pas éprouvé de difficulté, les représentations et les stratégies d’adaptation étaient aussi perçues comme étant efficaces et permettant d’atteindre les buts fixés. À l’inverse, les moyens offerts par l’employeur et les stratégies développées par le travailleur diminuaient selon la difficulté perçue, passant d’un niveau élevé pour le regroupement de cas ayant réalisé un retour sans difficulté à un niveau faible pour ceux qui ne sont pas de RT en raison de trop grandes difficultés. Plus les capacités physiques diminuaient, plus les travailleurs rapportaient avoir des difficultés à effectuer leur travail. Les représentations et les stratégies d’adaptation associées étaient perçues comme étant moins efficaces selon les travailleurs pour favoriser le RT ou le maintien durable en emploi. Les résultats de cette étude soulignent l’importance de tenir compte à la fois des représentations des travailleurs, mais également des facteurs pouvant limiter leur marge de manoeuvre dans leur environnement de travail. Les diverses sources d’information (travailleur, intervenant en réadaptation, direction des ressources humaines, supérieurs immédiats, représentant syndical) et l’observation de l’environnement de travail ont permis de faire ressortir le besoin d’agir à différents niveaux, afin de mieux soutenir les travailleurs ayant un travail physique lors du RT. Les résultats de cette étude font aussi ressortir l’importance de sensibiliser les orthopédistes à l’évaluation des exigences requises par l’emploi du travailleur, afin que celui-ci ait des attentes réalistes à l’égard du RT à la suite de la chirurgie. L’intégration de la prise en compte des caractéristiques du milieu de travail lors de la prise en charge en réadaptation permettrait de cibler les cas qui pourraient bénéficier d’une intervention en cette matière.