IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Recyclage primaire des matières résiduelles électroniques au Québec : portrait de la santé et de la sécurité du travail et appréciation du risque sanitaire

Résumé

En raison de l’utilisation croissante de composants et d’appareils électriques et électroniques, de même que de leur durée de vie relativement courte, la quantité de matières résiduelles électroniques ne cesse d’augmenter. Conséquemment, le nombre d’entreprises spécialisées dans le recyclage électronique (e-recyclage) est en nette croissance au Québec, comme ailleurs dans le monde. Ces entreprises emploient des travailleurs qui ont pour tâche de démonter les appareils afin d’en trier les composants qui seront subséquemment valorisés ou éliminés de manière sécuritaire. Ces tâches peuvent cependant entraîner l’exposition des travailleurs à un mélange de substances potentiellement toxiques, comprenant entre autres des poussières, des métaux et des ignifuges. Certains métaux sont cancérogènes, comme l’arsenic, le cadmium ou le nickel. De plus, le cadmium, le plomb et le mercure, ainsi que plusieurs ignifuges bromés, organophosphorés et chlorés peuvent agir sur les hormones et sont considérés comme étant des « perturbateurs endocriniens ». L’objectif de cette recherche est d’évaluer l’exposition des travailleurs aux poussières, aux métaux et aux ignifuges dans des entreprises de e-recyclage primaire au Québec ainsi que d’apprécier le niveau de risque sanitaire pouvant en découler.

Dans le cadre d’une étude transversale, des prélèvements d’air en poste personnel ont été réalisés au cours de deux quarts de travail complets pour 85 travailleurs dans six entreprises de recyclage électronique ainsi que pour 15 travailleurs œuvrant dans le recyclage commercial (groupe témoin). Des prélèvements d’urine et de sang ont aussi été recueillis en fin de quart auprès de ces mêmes travailleurs, qui ont également répondu à un court questionnaire sur leurs habitudes de vie et sur leur statut sociodémographique. Les concentrations de quatorze métaux et de quarante ignifuges ont été mesurées dans les échantillons d’air, alors que les concentrations de neuf métaux et de vingt-sept ignifuges ont été mesurées dans les liquides biologiques. Dix hormones ont été mesurées dans le sang des travailleurs afin d’évaluer leur association avec les niveaux d’exposition aux perturbateurs endocriniens. Finalement, les pratiques relatives à la santé et à la sécurité du travail ont été documentées par des entrevues dirigées, menées auprès d’une trentaine de travailleurs et de gestionnaires.

Dans les entreprises de recyclage électronique, les concentrations de poussières en poste personnel représentaient, en moyenne, de 4 à 14 % de la valeur limite d’exposition de 10 mg/m³ en vigueur au Québec. L’exposition aux poussières serait principalement due à une remise en suspension de particules assez grosses qui avaient préalablement été déposées sur le sol ou sur les tables de travail durant les activités de démantèlement, de nettoyage, de lancers et dépôts brutaux de déchets d’équipements électriques et électroniques, ou encore lors de la manipulation de bacs ou de bennes. La concentration aérienne en poussières était associée à la taille des entreprises; les entreprises de plus grande taille, ayant un volume d’exploitation plus grand et une cadence de travail plus rapide, présentaient les concentrations les plus élevées.

Les métaux détectés le plus fréquemment dans l’air des installations de e-recyclage étaient le plomb (73 à 100 % des prélèvements), le cadmium (18 à 94 %) et le cuivre (50 à 94 %). L’exposition par voie aérienne se reflétait partiellement dans les fluides biologiques des travailleurs, où les valeurs de plomb sanguin ont atteint chez certains travailleurs jusqu’à la moitié de l’indice biologique d’exposition en vigueur, et où le cadmium a été détecté dans le sang de 86 à 100 % des travailleurs.

L’analyse des prélèvements d’air a également mis en évidence des concentrations d’ignifuges relativement élevées, avec une concentration en décabromodiphényléther (BDE209) plus élevée que toutes les valeurs publiées à ce jour (moyenne géométrique [MG] : 5100 ng/m³). Les tâches de compactage et de démantèlement étaient respectivement associées à des expositions en moyenne de 1,4 à 2,2 fois plus élevées que celle de supervision. Finalement, les concentrations sanguines de BDE209 (MG : 18 ng/g de lipides) chez les travailleurs du recyclage électronique étaient plus élevées que chez ceux du recyclage commercial (MG : 1,7 ng/g de lipides).

Le niveau de risque sanitaire associé à l’exposition à des métaux dans le e-recyclage a montré une exposition concomitante au manganèse, au plomb et au mercure, indiquant un potentiel d’atteinte neurotoxique ou néphrotoxique pour certains travailleurs. Quant aux effets endocriniens liés à l’exposition aux ignifuges et à certains métaux, une diminution statistiquement significative de la testostérone libre et totale pour un doublement de la concentration de tb-TPhP (métabolite d’ignifuge organophosphoré), et une augmentation statistiquement significative de l’estradiol pour un doublement de la concentration de o-iPr-DPhP (un autre métabolite d’ignifuge organophosphoré) ont été mis en évidence chez les travailleurs masculins.

La taille de l’entreprise était le facteur le plus influent sur les niveaux d’exposition des travailleurs, tant aux poussières et aux métaux qu’aux ignifuges. De plus, les tâches de démantèlement manuel et d’opération du compacteur exposaient les travailleurs à un plus grand éventail de substances que la tâche de superviseur.

Les travailleurs et leurs gestionnaires ont témoigné d’une certaine prise de conscience des problématiques de santé et de sécurité du travail relatives au e-recyclage. Cependant, les pratiques préventives variaient en fonction de la mission sociale et de la stratégie de recrutement des entreprises. De façon plus particulière, le port et la disponibilité des équipements de protection individuelle étaient souvent déficients, de même que l’accès à une formation appropriée à l’entrée dans l’emploi. Qui plus est, un lien d'emploi souvent précaire, des réseaux de soutien inadéquats et la privation matérielle placent la majorité de ces travailleurs dans une position de vulnérabilité face à la santé et à la sécurité du travail.

Ce rapport émet quelques recommandations quant aux conditions de travail, aux aspects réglementaires de surveillance, ainsi qu’au regard des besoins en recherche dans le milieu du e-recyclage. Ainsi, des efforts devraient être déployés pour diminuer l’exposition des travailleurs aux poussières en suspension, tant par la mise en place de procédures de nettoyage assidues et par l’adoption de pratiques de travail minimisant les projections, que par le déploiement et le port adéquat d’appareils de protection respiratoire. De plus, étant donné la présence de plomb dans l’air et dans le sang de plusieurs travailleurs, une surveillance biologique annuelle doit être mise en place si elle n’est pas déjà instaurée.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
Projet de recherche : 2015-0083
Mis en ligne le : 25 avril 2022
Date de mise à jour : 02 mai 2022
Format : Texte