Résumé Une grande entreprise du secteur de l’aéronautique désire développer la polyvalence de ses assembleurs-monteurs par l’instauration de la rotation de postes. Convenant qu’il s’agit d’une problématique complexe, l’expertise de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) est sollicitée. La demande formulée consiste à identifier les conditions requises pour implanter la rotation des postes, souhaitant ainsi prévenir les TMS qui affectent cette population de travailleurs. Le département où sont assemblés les cabines de pilotage de deux des avions-phares de l’entreprise est ciblé à la fois de par les exigences physiques qui le caractérisent, sa position stratégique dans le cycle de production optimisée (lean production) et le haut niveau d’expertise requis pour y effectuer les tâches d’assemblage. On y retrouve quatre stations d’assemblage dans lesquelles se répartissent plus d’une vingtaine d’assembleurs sous la supervision de trois chefs d’équipe. Le travail se caractérise entre autres par des cycles longs – puisque l’assemblage complet d’une cabine s’échelonne sur plusieurs jours – et par des exigences élevées de qualité. L’approche choisie a été de mettre à l’essai des scénarios de rotation et d’en faire le suivi. La participation des assembleurs et du personnel d’encadrement a été fortement encouragée, à la fois lors de la cueillette de données, mais aussi lors de l’élaboration des modalités pour instaurer et gérer la rotation. Un comité de pilotage était régulièrement informé de l’avancement des travaux. Une première phase a permis, par le biais d’entretiens avec des acteurs clés de l’organisation (n=16), de mieux comprendre le fonctionnement de cette vaste entreprise, de préciser le rôle des divers départements en son sein et de leurs interactions. En parallèle, une enquête par questionnaire sur la santé des assembleurs (n=22) et leurs perceptions face à la rotation a été réalisée. Préalablement à la mise à l’essai de la rotation, des données ont été recueillies sur les facteurs de risque et les questions d’apprentissage. La cueillette a nécessité des développements méthodologiques novateurs combinant des observations, des entretiens individuels et des rencontres collectives de validation. Ces données ont été à la base des scénarios de rotation élaborés par les acteurs eux-mêmes et ont permis de spécifier des conditions à satisfaire pour faciliter l’implantation de la rotation. Des méthodes de suivi originales ont été appliquées pour étudier la situation qui prévalait à la suite de deux essais d’implantation effectués à quatre mois d’intervalle. Riche des enseignements découlant de ses essais, un comité s’est constitué au sein de l’entreprise afin de prendre en charge ce dossier sous la forme d’une démarche structurée de type « conduite de projet », assisté de l’équipe de recherche. Ce rapport fait état de la démarche utilisée, des développements méthodologiques effectués et relate les principaux résultats obtenus. La discussion aborde les conditions nous apparaissant nécessaires à l’implantation de la rotation chez cette population de travailleurs. Sont mis en relief toute l’importance des questions d’apprentissage spécifiques aux postes occupés dans ce secteur où les exigences de qualité sont très élevées, de même que le soutien organisationnel aux formateurs-coach et aux chefs d’équipe. Ces derniers doivent à la fois gérer la dynamique de la rotation et pallier les nombreux imprévus survenant dans le cycle de production caractérisé par une organisation de type « juste-à-temps ». Nous insistons sur le fait que la mise en place de la rotation dans ce secteur, étant donné le haut niveau d’expertise des assembleurs-monteurs et l’aspect structurant des exigences de qualité, ne s’improvise pas; elle doit constituer un réel projet organisationnel où des marges de manœuvre doivent se dégager pour faciliter une autogestion de la rotation par les travailleurs et l’encadrement de proximité.