Résumé Les nanotechnologies présentent aujourd’hui des enjeux majeurs en termes technologique, économique, éthique, social et environnemental, car elles offrent le potentiel d’améliorer de façon substantielle les propriétés de multiples produits dans tous les secteurs d’activité tant en matière de production de matériaux aux performances inédites que de diagnostic et de traitement médical. Les nanomatériaux favorisent ainsi l’émergence de nouveaux marchés, la création d’emplois, l’amélioration de la qualité de vie et peuvent contribuer à la protection de l’environnement. Du reste, l’impact se fait déjà sentir dans des secteurs aussi diversifiés que l’agroalimentaire, l’aérospatiale, la cosmétique, la construction et la santé. Au Québec, la plupart des universités de même que plusieurs centres de recherche œuvrent à la conception de nouvelles applications. Plusieurs entreprises sont en phase de démarrage, en exploitation, produisent ou incorporent déjà des nanomatériaux dans leurs procédés afin d’améliorer la performance de leurs produits et la tendance devrait s’accentuer au cours des prochaines années. Le personnel des laboratoires de recherche et des industries est donc particulièrement concerné par ces nouveaux développements susceptibles d’exposer un nombre croissant de travailleurs à ces matériaux du monde de l’infiniment petit. On estime qu’en 2015, au niveau mondial, 10 % des emplois manufacturés pourraient être liés aux nanotechnologies et plus de 2 000 produits commercialisés contiendraient des nanomatériaux. La manipulation de ces nouveaux matériaux aux propriétés uniques soulève toutefois de nombreuses interrogations et génère des inquiétudes en raison de l’état fragmentaire des connaissances sur les risques pour la santé, la sécurité des travailleurs et l’environnement. Or, plusieurs études ont déjà démontré que certains nanomatériaux ont une toxicité spécifique différente des mêmes produits chimiques de plus forte taille. Les nanomatériaux peuvent être absorbés principalement par inhalation, mais également par voie cutanée ou digestive; en outre, des études sur des animaux ont mis en évidence que certains nanomatériaux peuvent se rendre au sang par translocation et s’accumuler dans divers organes. Parmi les multiples effets spécifiques documentés, notons que des études animales ont laissé voir qu’à masse égale, certains nanomatériaux causent plus d’inflammation et de tumeurs pulmonaires que les mêmes produits à plus forte taille. La recherche a permis de déterminer que les caractéristiques physico-chimiques des nanomatériaux telles la taille, la forme, la surface spécifique, la charge, la solubilité et les propriétés de surface jouent un rôle important quant à leurs effets sur les systèmes biologiques, incluant leur capacité de générer un stress oxydatif. Il est donc important d’évaluer et de maîtriser les risques potentiels afin d’assurer une manipulation sécuritaire des nanomatériaux. Tout comme pour plusieurs autres substances chimiques, une approche d’estimation et de gestion des risques doit être développée au cas par cas. Par ailleurs, il n’existe pas encore de méthode de mesure qui fasse consensus pour caractériser l’exposition des travailleurs aux nanomatériaux, rendant ainsi l’évaluation quantitative des risques difficile, voire impossible dans de multiples situations. Dans un tel contexte d’incertitudes, une approche de précaution est préconisée afin de minimiser l’exposition du travailleur. Or, au Québec, la responsabilité de fournir un milieu de travail sécuritaire relève des employeurs et les mesures préventives doivent être appliquées par les employés. Il importe donc, dans tous les milieux de travail où des nanomatériaux sont manipulés, de développer un programme de prévention qui tienne compte des caractéristiques spécifiques des nanomatériaux afin de mettre en place de bonnes pratiques de travail et d’instaurer des procédures de prévention adaptées aux risques propres à chaque situation de travail. Heureusement, les connaissances scientifiques actuelles, même si elles demeurent partielles, permettent d’identifier, d’estimer et de gérer efficacement ces risques. Dans l’intention de soutenir le développement sécuritaire des nanotechnologies au Québec, le présent guide souhaite rassembler les connaissances scientifiques actuelles sur l’identification des dangers, les stratégies d’évaluation du niveau de nanomatériaux retrouvés dans différents milieux de travail, l’évaluation des risques et finalement l’application de différentes approches à la gestion des risques. Ce guide, dont l’utilisation optimale requiert un minimum de connaissances en hygiène du travail, est destiné à soutenir l’ensemble des milieux de travail qui fabriquent ou utilisent des nanomatériaux et à fournir des informations pratiques et des outils de prévention permettant leur manipulation sécuritaire aussi bien dans les laboratoires et les usines pilotes que dans les industries de production ou d’intégration de ces produits. Pour être efficace, la gestion des risques doit faire partie intégrante de la culture d’une organisation et les questions de santé et de sécurité doivent être considérées dès la conception des lieux de travail, sinon le plus en amont possible. Ceci est un élément clé de la bonne gouvernance organisationnelle. En pratique, la gestion des risques constitue un procédé itératif à effectuer à travers une démarche structurée qui induit des améliorations continues dans la prise de décisions et peut même favoriser l’accroissement de la performance. Ce document vise à faciliter la mise en œuvre d’une telle démarche qui sera toutefois circonscrite à la prévention des risques liés aux nanomatériaux. En effet, selon le procédé impliqué, plusieurs autres risques associés à l’exposition aux solvants, aux gaz, à des contraintes thermiques ou ergonomiques, etc. pourraient être présents, mais ils ne seront pas examinés ici. Les auteurs favorisent une approche de prévention visant à minimiser l’exposition professionnelle aux nanomatériaux. Considérant les différentes voies d’exposition et les facteurs pouvant influencer la toxicité des nanomatériaux, de même que les risques pour la sécurité, l’approche retenue se base essentiellement sur l’identification des dangers, sur différentes stratégies d’évaluation des risques et sur une hiérarchie de moyens de maîtrise, en y intégrant les connaissances spécifiques aux nanomatériaux lorsque celles-ci sont disponibles. L’évaluation adéquate des risques doit conduire au choix des procédés, des équipements et des méthodes de travail à même de réduire l’exposition potentielle des travailleurs notamment en maîtrisant à la source les émissions de nanomatériaux. Elle doit également permettre de sélectionner les mesures de prévention collectives et individuelles et de déterminer les éléments de gestion administrative et de formation requis pour assurer la protection adéquate de l’ensemble des travailleurs, aussi bien sur le plan de l’entretien des équipements et des espaces de travail qu’au regard des opérateurs. Cette seconde version du guide a été enrichie des données récentes de la littérature scientifique. De plus, quelques annexes présentent des interventions effectuées dans des milieux de travail québécois, des exemples de situations à risques tirés de la littérature, des mesures de prévention, des données relatives à l’efficacité de ces diverses mesures, de même que l’implantation des moyens de maîtrise de l’exposition. Notons finalement que les solutions à retenir pour un milieu de travail spécifique doivent être traitées au cas par cas et adaptées à chaque situation en tenant compte des risques évalués pour chacun des postes de travail.