Résumé Les bioaérosols, c’est-à-dire des aérosols composés de particules solides ou liquides de 0,002 µm à 100 µm transportant des microorganismes vivants ou des molécules dérivées d’organismes vivants, se trouvent en fortes concentrations dans plusieurs milieux de travail. Beaucoup de maladies respiratoires professionnelles y sont associées, mais leur étiologie n’est souvent pas connue. La composition exacte des bioaérosols responsables de ces maladies respiratoires doit être clairement définie afin de bien comprendre ce à quoi sont exposés les travailleurs.Nous avions récemment documenté des microorganismes insoupçonnés dans l’air des porcheries, les archaea. Dans la présente étude, afin de définir l’exposition des travailleurs aux bioaérosols, nous avons utilisé des méthodes de biologie moléculaire pour décrire la biodiversité des bactéries et des archaea de l’air de plusieurs environnements de travail. Nous avons donc caractérisé le contenu en bactéries et en archaea des bioaérosols de fermes laitières, de poulaillers et d’établissements de traitement des eaux usées et nous avons déterminé l’exposition des travailleurs de fermes laitières à Saccharopolyspora rectivirgula, l’agent responsable du poumon du fermier. De plus, nous avons caractérisé l’immunogénicité de deux espèces d’archaea retrouvées dans l’air de différents milieux de travail, les Methanobrevibacter smithii (MBS) et les Methanosphaera stadtmanae (MSS), à l’aide d’un modèle murin d’exposition chronique des voies respiratoires. La technique de réaction en chaîne par polymérase (PCR) quantitative a été utilisée pour déterminer les quantités de bactéries et d’archaea présentes dans l’air de fermes laitières, des poulaillers et des établissements de traitement des eaux usées. La caractérisation de la biodiversité de ces microorganismes a été effectuée par électrophorèse sur gel en gradient dénaturant ou DGGE. La technique d’ELISA a permis de mesurer les anticorps spécifiques à MBS, à MSS et à S. rectivirgula dans le plasma des travailleurs. Pour étudier l’effet pro-inflammatoire des archaea, trois concentrations de deux espèces d’archaea, MBS et MSS, ont été instillées par voie intranasale à des souris C57Bl/6, trois jours consécutifs durant trois semaines. Jusqu’à 108 bactéries et 106 archaea totales par m3 ont été retrouvées dans l’air des fermes laitières. Des quantités similaires d’archaea ont été retrouvées dans l’air des poulaillers, alors que jusqu’à 108 bactéries et 104 archaea totales par m3 ont été trouvées dans l’air des établissements de traitement des eaux usées. MBS et MSS, deux espèces d’archaea immunogènes, ont aussi été détectées dans l’air de fermes échantillonnées. Malgré les recommandations formulées aux fermiers quant à l’entreposage de leur foin, jusqu’à 107 copies du gène de l’ARNr 16S de S. rectivirgula par m3 d’air y ont été mesurées. De fait, les travailleurs de fermes laitières sont davantage exposés à cet actinomycète que les sujets contrôles. Des études histopathologiques sur les poumons des souris exposées aux archaea ont démontré des altérations pulmonaires, qui étaient plus intenses chez les souris instillées avec MSS. Le modèle murin a aussi permis de démontrer que MSS induit une production plus élevée de cellules dendritiques myéloïdes activées que MBS dans les poumons.Ces résultats établissent la complexité des bioaérosols des milieux agricoles et des industries dont certaines composantes telles les archaea pourraient avoir un rôle à jouer dans le développement de maladies respiratoires professionnelles. Ces microorganismes peuvent induire une inflammation pulmonaire dont l’intensité est dépendante de l’espèce d’archaea. L’exploration de la présence des archaea dans notre environnement et la compréhension de notre réponse à ces agents méconnus n’en sont qu’à leurs balbutiements. Leur rôle en tant qu'agents protecteurs, immunostimulateurs, pro-inflammatoires ou agents tolérés mérite d'être approfondi.