IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Mesures de santé et de sécurité du travail dans les petites entreprises montréalaises embauchant une main-d’œuvre immigrante - Les stratégies favorables à la prise en charge

Résumé

Cette étude portant sur les stratégies favorables à la prise en charge des mesures de santé et de sécurité du travail (SST) dans les petites entreprises montréalaises embauchant une main-d’œuvre immigrante est née des préoccupations des professionnels en santé au travail (SAT) du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la Montagne, principal partenaire de ce projet. Dans les sociétés qui misent sur l’embauche des travailleurs immigrants pour combler leurs besoins de main-d’œuvre, la gestion des pratiques SST en contexte de diversité ethnoculturelle devient un sujet incontournable. De ces préoccupations ont émergé les questions suivantes : quels sont les stratégies et les arguments favorables à la prise en charge de la SST dans les petites entreprises qui embauchent de façon importante une main-d’œuvre immigrante? Comment créer une culture de santé et de sécurité du travail dans ces milieux? Les responsabilités et obligations sont-elles comprises de la même manière lorsque les propriétaires-dirigeants sont eux-mêmes issus de l’immigration? Pour répondre à ces questions, l’équipe s’est centrée sur les dynamiques de prise en charge en s’inspirant des travaux menés antérieurement au Québec auprès des petites entreprises (PE).

Trois sources de données ont été exploitées dans le cadre de la recherche soient :des entrevues semi-dirigées menées auprès des répondants de SST des PE, des entrevues semi-dirigées avec les professionnels en SAT des CSSS œuvrant dans ces entreprises et un questionnaire auto-administré à des travailleurs. L’échantillon est constitué de 28 entreprises comptant entre 10 et 50 travailleurs, dont les deux tiers emploient de façon importante des immigrants, et l’autre tiers, le groupe de comparaison, est composé principalement de travailleurs d’origine canadienne. Outre les travaux de recherche, trois types d’activités de transfert des connaissances (TC) ont été expérimentés : un séminaire scientifique, la validation d’études de cas basées sur les meilleures pratiques de gestion de la SST dans ces PE embauchant des travailleurs immigrants et une journée de réflexion sur les pratiques de SST à mettre en œuvre auprès de travailleurs immigrants et.

Le phénomène d’homogénéité et de pluriethnicité s’est avéré marquant dans l’analyse des données. Dans plus de la moitié des PE (15/28), une partie importante de la main-d’œuvre aux trois paliers hiérarchiques – dirigeants, superviseurs et travailleurs – est immigrante et issue des mêmes pays d’origine. Il y a également d’autres entreprises dont la main-d’œuvre est relativement homogène aux trois paliers hiérarchiques mais cette fois, en très grande proportion d’origine canadienne (6/28). Finalement, la troisième composition est l’entreprise mixte (7/28), où les dirigeants et les superviseurs sont principalement d’origine canadienne tandis que les travailleurs proviennent de divers pays (7/28). Bien que l’ampleur du phénomène d’homogénéité surprenne, il ne constitue qu’une simple manifestation des réseaux sociaux d’insertion économique des immigrants.

Cette composition a des impacts sur la dynamique de prise en charge et sur la participation des travailleurs immigrants aux mesures de SST. Les dirigeants et les superviseurs également issus de l’immigration ont une conception plus paternaliste que paritaire de la SST. Cette façon de faire se reflète dans la composition des comités de SST où l’on retrouve essentiellement des dirigeants. De leur côté, les travailleurs immigrants accordent davantage d’importance à la manifestation de leur loyauté envers un employeur qui leur a permis de s’insérer dans le marché du travail qu’à l’adoption de comportements critiques envers leur environnement de travail. Leur méconnaissance des lois et règlements de SST engendre une certaine déformation des pratiques à la base d’une culture de SST comme le paritarisme, l’assignation temporaire, le processus d’analyse des risques, etc. Cette déformation se démarque dans les entreprises dont la composition de la main-d’œuvre aux trois paliers hiérarchique est mixte. Ces résultats n’ont pas surpris les professionnels en SAT participant au séminaire scientifique qui ont mis en relief la tendance à sous-estimer les écarts interculturels de compréhension des pratiques préventives de SST.

Les résultats de la recherche ont mené à la formulation d’un certain nombre de recommandations qui ont fait l’objet d’une activité de TC qui a pris la forme d’une journée de réflexion sur les pratiques de SST à mettre en œuvre auprès des travailleurs immigrants. Le premier consensus formulé au cours de cette journée portait sur le devoir moral de la société de traiter de façon équitable tous les travailleurs et de mettre en place des leviers afin qu’ils puissent exercer leurs droits sans distinction. Il s’est avéré primordial que tous les travailleurs connaissent nommément : le droit de refus d’exécuter une tâche jugée dangereuse; le droit à la réaffectation de la travailleuse enceinte ou du travailleur exposé à un contaminant qui comporte pour lui des dangers; le droit à l’indemnisation en cas de lésion professionnelle; le droit à la réintégration au travail après une période de convalescence et le droit d’être protégés contre toute forme de représailles. Le devoir moral de traiter de façon équitable tous les travailleurs et de mettre en place des leviers afin d’exercer ses droits devraient interpeler les travailleurs et les employeurs eux-mêmes immigrants, et cette séquence d’actions devrait se déployer selon les parcours d’insertion des travailleurs et des dirigeants.

Les résultats ont aussi mis en évidence les huit meilleures pratiques recensées au sein des 28 PE de l’échantillon, des initiatives combinant des pratiques de gestion de la SST et de la diversité ethnoculturelle. Parmi les huit études de cas exemplaires retenues par le projet, soulignons celles illustrant la résilience organisationnelle. Malgré la crise financière, certaines PE ont réussi à développer des programmes de francisation et de mise à jour des pratiques de SST pendant la période de ralentissement de la production et ainsi, à maintenir en emploi des travailleurs, très majoritairement immigrants, destinés au licenciement. D’autres initiatives ont misé sur l’adaptation des formations aux besoins des travailleurs immigrants et allophones.

Tous les participants au projet et les équipes des CSSS encouragent la poursuite des travaux pour mettre sur pied un comité mobilisant les ressources professionnelles dédiées à la SST et aux travailleurs immigrants. Une approche interculturelle devrait s’inscrire dans les travaux des communautés de pratique de la SST puisque l’embauche des travailleurs immigrants est une solution au problème chronique de pénurie de main-d’œuvre dans les PE. Cela est d’autant plus important que les PE, qui constituent un acteur économique important au Canada et dans la plupart des pays de l’Organisation pour le développement et la coopération économique (OCDE), sont les premiers employeurs des travailleurs immigrants.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Sylvie Gravel
  • Gabrielle Legendre
  • Jacques Rhéaume
  • Gilles Séguin
  • Charles Gagné
Projet de recherche : 0099-6820
Mis en ligne le : 18 septembre 2013
Format : Texte