IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Le travail dans les espaces ouverts et de coworking : deux études en ergonomie de l’activité

Résumé

Ce rapport s'inscrit dans le cadre du projet intitulé : Les caractéristiques des espaces ouverts et des espaces de coworking en lien avec la SST (no 2018-0030), sous la direction de la professeure Diane-Gabrielle Tremblay, université TÉLUQ. L’étude en ergonomie de l’activité propose une analyse du travail en espaces ouverts et de coworking. Ces derniers sont présentés comme des lieux propices aux interactions sociales spontanées. Elles sont facilitées par l’aire ouverte qui, induisant le partage des locaux et du mobilier, instaure une coprésence et une proximité physiques entre les personnes. Mais ces interactions peuvent être vécues comme des distractions coûteuses, notamment pour les personnes ayant besoin de temps ininterrompu pour accomplir leurs tâches. Le bruit incarne la première nuisance des espaces de travail ouverts. Et parmi ses différentes sources, la plus gênante est celle de la parole intelligible. Cette perte d’intimité sonore est susceptible d’altérer la concentration des personnes. Si les caractéristiques de l’environnement de travail ont certes des effets sur le vécu des personnes qui l’occupent, le « contrôle » qu’elles sont en mesure d’exercer peut modérer ces effets. Dans ce contexte, cette étude vise quatre objectifs de recherche : 1) relever les conditions et les caractéristiques des interactions sociales spontanées qui se produisent dans l’espace de travail ouvert ; 2) comprendre comment les personnes qui travaillent en espace ouvert gèrent leurs appels et leurs rencontres en visioconférence ; 3) relever le niveau de concentration perçu par des personnes travaillant en espaces ouverts, et repérer les facteurs susceptibles d’influencer ce niveau de concentration ; 4) relever les « stratégies d’occupation » que les personnes peuvent déployer pour maintenir leur concentration.

La méthodologie est développée dans les aires ouvertes de cinq espaces de coworking 1 et six organisations. Les personnes volontaires sont d’abord observées pendant deux heures consécutives. Trois de leurs comportements sont relevés dans une grille d’observation (format papier) et un plan d’observation (format numérique) : 1) quand la personne interagit ; 2) se déplace ; 3) démarre un appel téléphonique et/ou une rencontre en visioconférence. À la fin des deux heures d’observation, chaque personne remplit un questionnaire pour évaluer sa concentration perçue. Au moment souhaité, chaque personne est interrogée individuellement dans un entretien semi-directif : sur son profil, ce qui lui a permis ou empêché de rester concentrée, le choix de ses journées de présence et de son poste de travail dans l’aire ouverte, son port d’écouteurs, et ses comportements relevés pendant les deux heures d’observation.

Les résultats des deux études portent respectivement sur 87 personnes dans les espaces de coworking et 69 personnes dans les organisations. Ils montrent que les interactions sociales spontanées relevées dans les aires ouvertes sont de courte durée. Dans les espaces de coworking, la majorité des interactions portent plutôt sur le contenu du travail avec des collègues en tant qu’interlocuteurs ; le reste des interactions sont plutôt informelles avec d’autres coworkers. Les interactions relevées dans les espaces de coworking se produisent surtout entre des personnes installées à la même table. Dans les organisations, toutes les interactions sont avec des collègues et il y a autant d’interactions portant sur le contenu du travail que d’interactions informelles. Dans les organisations, les interactions les plus nombreuses sont celles qui impliquent un déplacement. Les résultats montrent ensuite que dans les espaces de coworking, la majorité des appels sont prévus et réalisés dans des cabines téléphoniques dédiées. Ceux qui sont réalisés dans l’aire ouverte ne sont généralement pas prévus par les personnes, qui ne les estiment ni confidentiels, ni de longue durée. Dans les organisations, la majorité des appels sont prévus et réalisés dans l’aire ouverte. Les personnes choisissent de rester dans l’aire ouverte pour les appels qu’elles n’estiment pas longs, confidentiels et participatifs. Dans les deux études, les appels peuvent déterminer la fréquentation de l’espace : plusieurs personnes les prévoient au domicile pour se garantir un environnement optimal. Les résultats montrent aussi que les personnes travaillant dans les espaces ouverts évaluent positivement leur concentration. Plusieurs facteurs l’influencent : les conditions et exigences des tâches, les distractions et bruits sonores induits par la présence d’autres personnes dans l’aire ouverte, et le fait de travailler dans un espace de coworking dans le cas de la première étude. La concentration dans l’aire ouverte est également influencée par des stratégies d’occupation déployées par les personnes : le port d’écouteurs, le choix du poste de travail et le choix des journées de présence.

L’étude propose plusieurs pistes de réflexion à destination des personnes responsables de la gestion, de l’animation, de l’architecture et de l’aménagement des espaces ouverts et de coworking. Dans le cas précis des espaces de coworking, pour mieux encadrer la dynamique des interactions sociales spontanées, il s’agit de s’intéresser au profil des personnes et de repérer celles ayant l’intention de s’inscrire à plusieurs. Une solution possible serait d’adapter le recrutement en sélectionnant les profils selon les caractéristiques de l’espace. Une autre solution serait d’organiser le mobilier selon le profil des travailleurs. La coprésence physique induite par l’aire ouverte ne suffit pas à obtenir des interactions permettant de créer des affinités et des collaborations : les gestionnaires des espaces de coworking jouent un rôle essentiel dans le processus. Pour adapter les espaces de coworking à la réalité des appels et des visioconférences, il s’agirait – dans les espaces existants – d’enquêter sur leurs caractéristiques (durées, prévisibilité, récurrences, etc.) pour redéfinir les règles de l’espace. Il faudrait aussi – dans les espaces de coworking à créer – aménager les cabines téléphoniques selon plusieurs critères d’insonorisation, de superficie, et d’équipement. Enfin, il serait souhaitable d’enquêter sur le degré d’intimité sonore nécessaire aux personnes, pour redéfinir les règles des espaces d’aujourd’hui, et pour inspirer l’architecture, l’aménagement et la localisation des espaces de demain. Dans le cas précis des organisations, il s’agit de garantir des marges de manœuvre suffisantes aux travailleurs. Sur le plan matériel : nous encourageons la possibilité de porter des écouteurs et la généralisation de l’écran fixe à tous les postes de travail. Au niveau spatial : nous encourageons la garantie aux personnes collaborant régulièrement ensemble de pouvoir s’installer à proximité les uns des autres, dans la même zone de bureaux. Cela implique un nombre suffisant de postes de travail et des journées de travail présentiel communes. Sur le plan temporel : nous suggérons d’orienter la réflexion vers une reconception participative du travail hybride dans lequel alternent des périodes d’importance équivalente ; celle du travail présentiel pour le maintien de la cohésion et de l’efficacité du collectif de travail, et celle du travail distanciel pour l’accomplissement de tâches nécessitant un environnement silencieux et isolé.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) collectif(s) : Marlène Cheyrouze, Diane-Gabrielle Tremblay, Université TÉLUQ, Laboratoire de l’Alliance de recherche université communauté sur la gestion des âges et des temps sociaux (ARUCGATS)
Projet de recherche : 2018-0030
Mis en ligne le : 03 septembre 2024
Format : Texte