Résumé Les exercices physiques permettent de réduire la douleur et les incapacités chez les gens souffrant d’une lombalgie non aiguë (> 3-4 semaines), mais ces effets sont limités. Pour rehausser l’efficacité de ce type d’intervention, il faut déterminer quels patients répondent le mieux à chaque modalité d’exercice (arrimage patient/intervention) et pour quelles raisons (mécanismes sous-jacents). Dans la présente recherche, l’intérêt est porté à un programme d’exercices de stabilisation lombaire (PESL), une modalité active d’exercice gagnant en crédibilité et en popularité. Deux objectifs ont été poursuivis : (1) finaliser l’étape de dérivation de règles de prédiction clinique (RPC) de succès1 pour dépister, lors de l’examen clinique, les patients qui répondront bien à ces exercices ; (2) étudier les mécanismes (d’origines physique, psychologique et neuromusculaire) mis en action par ces exercices à l’aide de mesures plus spécifiques permettant de décrire les effets du traitement. Une étude préliminaire menée auprès de 48 patients avait produit les résultats suffisants pour poursuivre le recrutement de patients additionnels et ainsi atteindre les effectifs nécessaires pour répondre à ces objectifs. À partir des résultats de l’étude préliminaire, 64 patients additionnels (douleur depuis plus de 4 semaines) devaient être recrutés pour atteindre un échantillon de 107 patients, soit la taille d’échantillon totale nécessaire sur le plan statistique. Le programme d’exercice était réalisé sur 8 semaines (2 séances/semaine) dans des cliniques de physiothérapie. Les principales mesures de résultats [douleur ; perceptions d’incapacité (échelle Oswestry)], de même que plusieurs mesures par questionnaire (mesures psychologiques [PSY] associées à la douleur et à l’adhésion au traitement) ont été recueillies au début (T0), aux semaines 4 (T4), 8 (T8 - fin) du programme d’exercice ainsi qu’à six mois posttraitement (T34). Les autres mesures réalisables en milieu clinique et donc susceptibles d’être retenues pour le développement des RPC (objectif 1), soient les tests physiques (mesures de l’examen clinique en physiothérapie [PHT]) faits à l’aide d’un examen clinique, ont été réalisées à T0 et T8. Ces tests physiques comprenaient des tests. d’instabilité articulaire (n = 4), de flexibilité (n = 6), de déficiences du contrôle sensorimoteur (n = 8), de performance physique (n = 4) et d’endurance musculaire (n = 3). Six tests en laboratoire ont aussi été réalisés à T0 et T8 pour étudier les mécanismes d’action d’origine neuromusculaire (mesures neuromusculaires [NRM]; pour l’objectif 2), chez un sous-échantillon de 77 patients. Pour les deux objectifs, les analyses consistaient d’abord à former trois sous-groupes de patients en fonction de leur niveau de succès suivant le PESL (1. succès ; 2. amélioration cliniquement significative ; 3. échec), tel que mesuré avec le questionnaire Oswestry, mesurant la perception d’incapacité liée à un mal de dos. Ces analyses consistaient ensuite à comparer les deux groupes extrêmes (sous-groupes succès (GS) vs échec (GE)) afin de s’assurer qu’ils sont bien distinctifs. D’ailleurs, autant à T8 qu’à T34, les tailles d’effet du PESL correspondant au GS étaient beaucoup plus élevées que pour le GE. Ceci était attendu pour la mesure de perception d’incapacité, mais aussi observé, bien qu’à un degré moindre, pour l’intensité de la douleur. Résultats et discussion en lien avec l’objectif 1 (développement des RPC) : les deux RPC de succès (à T8 et T34), toutes deux composées de tests ayant un lien théorique direct avec le concept d’instabilité lombaire, ont démontré une très bonne valeur prédictive. La RPC de succès à T8, dérivée avec 99 patients (GS + GE) pour prédire le succès à la fin du traitement clinique de 8 semaines a retenu quatre variables de l’examen physique. Lorsqu’au moins deux de ces variables sont positives, le rapport de vraisemblance positif est très élevé (LR+ = 17,9), permettant de rehausser la probabilité de succès du PESL de 49 % (sans utilisation de la RPC) à 96 % à T8, soit une amélioration de 47 % de cette probabilité de succès. Ces indicateurs de performance diagnostique sont supérieurs à la RPC préliminaire dérivée par Hicks et al., (2005) pour un PESL, composée de quatre variables, et offrant un LR+ de 4,0 et une probabilité de succès passant de 33 (sans RPC) à 67 % à T8 (amélioration de 34 %). La RPC de succès à T34, dont la dérivation clinique est basée sur un échantillon de 89 patients pour prédire le succès après une période de suivi de six mois, a retenu trois variables prédicatrices ajustées sur la variable âge. Lorsqu’au moins trois de ces variables sont positives, le rapport de vraisemblance positif est aussi très élevé (LR+ = 17,0), permettant de rehausser la probabilité de succès du PESL de 53 % (sans utilisation de la RPC) à 85 % à T34, soit une amélioration de 32 % de cette probabilité de succès. En comparaison avec la RPC préliminaire de Hicks et al. (2005), dérivée pour prédire le succès à T8 (à la fin du programme clinique), la RPC à T34 offre un LR+ beaucoup plus élevé (17,0 vs 4,0), mais un changement équivalent en termes de prédiction du succès (amélioration de 32 % vs 34 %). Il est important d’apprécier qu’il s’agisse de la première RPC dans le domaine de la physiothérapie, quant à la prédiction du succès après une période de suivi, ici s’échelonnant sur six mois. Résultats et discussion en lien avec l’objectif 2 (étude des mécanismes d’action) : Les comparaisons entre les GS et GE dans le temps ont révélé que plusieurs mécanismes physiques (mesures de l’examen clinique) et psychologiques (mesures par questionnaires) ont le potentiel d’expliquer le succès au PESL, ce qui n’était pas le cas pour les mécanismes de nature neuromusculaire (mesures en laboratoire). Ainsi, le PESL permettrait d’améliorer de façon plus marquée plusieurs indicateurs cliniques (p. ex. tests physiques d’endurance musculaire) et psychologiques (p. ex. peurs et croyances face à l’activité physique) chez le GS que chez le GE. Ceci supporte l’idée que le PESL permet une exposition graduelle à l’activité qui est favorable à la réduction des craintes liées à la douleur et au mouvement, tel que le propose le modèle d’évitement de la peur. Finalement, l’étude plus spécifique de l’adhésion au programme d’exercices à domicile suggère que certains des mécanismes de nature psychologique en question joueraient un rôle dans cette adhésion, ce qui a son tour aurait un impact sur le succès du PESL. En conclusion, la présente recherche a permis de compléter avec succès l’étape de dérivation de deux RPC de succès d’un PESL, soit pour prédire le succès à la fin d’un traitement de huit semaines (RPC à T8) ou bien après un suivi de six mois (RPC à T34). Ceci justifie la poursuite du développement de ce type d’outil permettant un meilleur arrimage entre les patients et ce programme d’exercices en particulier. De plus, l’étude des mécanismes d’action suggère que ce programme d’exercice engage des mécanismes d’action bénéfiques pour les patients, ceci autant sur le plan physique que psychologique. [1] Une RPC de succès et une RPC d’échec étaient visés au départ. Au cours de la présente étude, il a été jugé plus utile de se concentrer que sur la RPC de succès, mais au lieu de ne considérer que le succès immédiat à la fin du programme clinique, une RPC de succès a également été dérivée pour la prédiction de succès lors du suivi à six mois.