Résumé Dans les organisations à opérations continues, telles que les services d’urgence, plusieurs facteurs, d’ordre organisationnel et individuel, contribuent à générer de la fatigue physique et mentale chez les travailleurs. Le travail de nuit et rotatif occasionne une perturbation importante dans l’horaire de sommeil et d’éveil. Cette situation augmente le risque de baisse de performance, d’erreurs, d’incidents et d’accidents au travail en plus de réduire la productivité et la santé des travailleurs. Cette recherche s’insère dans une démarche paritaire ayant pour objectif de doter les services de police étudiés d’outils de gestion de la fatigue, scientifiquement validés. Ces outils leur permettront de réduire les risques d’incidents et accidents au travail liés à la fatigue. La présente recherche est née d’un intérêt paritaire exprimé par les représentants patronaux et syndicaux de services de police désireux de mieux gérer la fatigue et ses impacts au sein de leurs organisations. Le but de cette étude est de développer la composante centrale d’un système de gestion des risques liés à la fatigue (SGRF). Cette composante repose sur des données scientifiques et consiste en un outil de prédiction des risques liés à la fatigue, propre aux services de police participant à cette étude. Plusieurs étapes ont été nécessaires pour réaliser cet objectif. Dans un premier temps, les services intéressés ont été identifiés et rencontrés pour leur expliquer le projet, ses objectifs et s’entendre sur un échéancier. Deux services de police ont été retenus. Après une rencontre de démarrage planifiée avec des représentants patronaux et syndicaux de ces services de police, des comités opérationnels locaux ont été mis sur pied et des groupes de discussion ont été organisés. Ces groupes ont réuni des policières, policiers, représentants des ressources humaines et représentants en santé et sécurité du travail. Le but de ces rencontres a été de recueillir les commentaires des participants sur problématique de la fatigue au travail. Les participants ont été encouragés à décrire leur expérience en termes de fatigue au travail, comment et dans quelles situations cette dernière s’exprime et quels facteurs en affectent la survenue. Par la suite, les suggestions émanant de ces groupes ont été considérées dans le développement d’une large étude terrain au cours de laquelle un total de 76 policières et policiers en santé, âgés de 20 à 65 ans, travaillant à temps plein sur la patrouille ont été étudiés. Chaque policière et policier recruté a été étudié pendant un cycle complet de travail (~1 mois) afin de quantifier ses niveaux de fatigue et les facteurs y contribuant. Pendant toute la durée de l’étude, les participants ont porté une petite montre (actigraphe) sur leur poignet non dominant afin de documenter leur horaire de sommeil. Ils ont aussi fait plusieurs entrées quotidiennes sur un appareil téléphonique portatif afin de documenter leurs périodes de sommeil, leurs niveaux de fatigue, vigilance, somnolence, et de compléter des tests validés de performance. La charge de travail et la consommation de boissons stimulantes ont été considérées. À 4 ou 5 reprises au cours de l’étude, les participants ont collecté des échantillons urinaires pendant plus de 24 heures successives. Le but de ces collectes est d’en mesurer le contenu en métabolites hormonaux utiles pour évaluer l’heure interne de l’horloge biologique. Les résultats ont été analysés afin de déterminer les facteurs qui affectent les niveaux de fatigue. Divers facteurs, d’ordre personnel et opérationnel, tels que ceux liés à l’organisation du cycle éveil-sommeil et de l’horaire de travail, ont été considérés. Cette étude a démontré que la fatigue varie en fonction des heures travaillées et de l’heure de la journée. Elle est plus marquée la nuit comparativement au jour. Elle est aussi plus marquée en début de quart de jour et en fin de quart de nuit. Les variables de fatigue et de performance dépendent aussi du service de police étudié. Cette observation renforce l’importance de collecter des données spécifiques à chaque organisation afin de bien quantifier la problématique de gestion de la fatigue au sein de cette organisation. Les résultats de la présente étude terrain ont servi à l’élaboration d’un outil d’estimation des risques liés à la fatigue au travail. Grâce à ces résultats, l’influence de divers facteurs contribuant au risque lié à la fatigue au travail a été mesurée. L’outil développé permet de catégoriser les risques liés à la fatigue selon 4 niveaux ; faible, modéré, élevé et très élevé. Il est escompté que cette grille d’estimation des risques liés à la fatigue au travail permettra aux organisations de se doter d’une politique de gestion de ces risques. Un SGRF est une retombée anticipée de cette recherche. De plus, il sera possible d’utiliser les données émanant de cette recherche pour des activités ultérieures de valorisation telles que des modules de formation sur la gestion de la fatigue au travail pour les policières et policiers. Enfin, cette démarche sera facilement adaptable à d’autres groupes de travailleuses et travailleurs aux prises avec une problématique similaire.