IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Évolution des indicateurs annuels de lésions professionnelles indemnisées au Québec de 2012 à 2017

Résumé

Depuis plus de 30 ans, l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) produit des indicateurs statistiques de santé et sécurité du travail (SST) tous les cinq ans permettant d’obtenir un portrait très détaillé de la situation de la SST au Québec à un moment précis. Le besoin d’obtenir de l’information sur l’évolution annuelle entre deux séries d’indicateurs devenait cependant nécessaire, afin d’identifier des groupes à risque, non pas en fonction du critère de l’indicateur le plus élevé, mais plutôt en fonction de l’indicateur ayant connu l’évolution la moins favorable au cours de la période. Une première série d’indicateurs annuels ont été estimés pour la période 2007-2012 (Duguay, Busque, Boucher, Lebeau et Prud’homme, 2016). Quelques années de données sur les lésions professionnelles se sont accumulées depuis. Il est maintenant utile d’analyser comment la situation récente a évolué.

Pour les années 2012 à 2017, les indicateurs annuels ont été produits à partir de données sur les lésions professionnelles acceptées et sur celles avec perte de temps indemnisée (PTI) de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), combinées à des données de main-d’œuvre de l’Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada. Les données sur le nombre d’heures travaillées de l’EPA ont permis d’obtenir l’estimation du nombre de travailleurs en équivalent temps complet (ETC).

Les indicateurs produits, outre les nombres bruts de lésions, sont le taux de fréquence ETC des lésions professionnelles acceptées, celui des lésions avec PTI, des lésions avec plus de 90 jours indemnisés par la CNESST, des lésions avec réadaptation et celui des lésions les plus coûteuses, soit celles dont le coût est supérieur à la moyenne de 2012. Ces trois derniers indicateurs servent à mesurer la fréquence des lésions qui ont eu les conséquences les plus graves.

L’évolution de ces indicateurs entre 2012 et 2017 a été mesurée à partir de différentes méthodes de régression afin d’en estimer la variation annuelle moyenne et de déterminer si cette dernière est statistiquement différente (p<0,05) du groupe de référence. Ce dernier varie d’un indicateur à l’autre; il s’agit du groupe pour lequel l’indicateur a le plus favorablement évolué durant la période à l’étude, tel que mesuré par la variation annuelle moyenne.

Durant la période 2012 à 2017, le nombre de lésions acceptées a augmenté de 1,4 % par année en moyenne, passant d’un peu plus de 90 000 à 98 000. L’essentiel de la croissance est survenu entre 2015 et 2017. En ce qui concerne les lésions avec PTI, elles sont passées d’un peu plus de 67 000 à tout près de 70 000 durant la même période, soit une hausse annuelle moyenne de 0,5 %. Ces augmentations du nombre annuel de lésions reflètent en partie la hausse du nombre de travailleurs ETC, celui-ci ayant été relativement stable de 2012 à 2014 avant de connaître une augmentation constante jusqu’en 2017, pour une hausse moyenne de 1,1 % par année.

L’augmentation du nombre de lésions professionnelles varie selon la catégorie de lésion. De fait, la variation annuelle moyenne du nombre d’accidents du travail est de +0,3 %, et de +14,5 % pour les maladies professionnelles. Bien que la variation estimée du nombre d’accidents laisse entrevoir une stabilité de sa fréquence, on enregistre dans les faits une baisse de 4 100 accidents entre 2012 et 2015 et une hausse de 6 300 de 2015 à 2017. Quant aux maladies professionnelles acceptées, avec une forte croissance tout au long de la période, elles constituent assurément une problématique de lésions professionnelles importante.

À l’exception des lésions avec réadaptation, les lésions les plus graves, soit celles avec atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (APIPP), celles de longue durée et celles dont le coût surpasse la moyenne, ont davantage augmenté que les lésions les moins graves. Par ailleurs, le coût global de l’ensemble des lésions (+274 millions $ par an) de même que le coût moyen par lésion acceptée (+2 345 $ par an) ont augmenté entre 2012 et 2017.

Le taux de fréquence ETC des lésions avec PTI a diminué (-0,5 % par an) alors que celui des cas sans PTI a augmenté (+2,7 %), une différence statistiquement significative. Bien que, pour l’ensemble de la période, la variation annuelle moyenne du taux des lésions avec PTI soit à la baisse, une remontée de ce taux est constatée depuis 2015.

L’analyse des quatre taux de fréquence ETC, pour les lésions avec PTI, avec plus de 90 jours indemnisés, acceptées avec réadaptation et les plus coûteuses, montre systématiquement une variation annuelle moyenne plus élevée chez les femmes que les hommes, et il s’agit de différences statistiquement significatives. En fonction de l’âge, aucune différence n’est mesurée pour le taux de fréquence ETC des lésions avec PTI. Pour le taux de fréquence ETC des lésions avec plus de 90 jours indemnisées et celles avec réadaptation, seuls les 15-24 ans (respectivement +6,0 % et +1,3 %) se démarquent significativement du groupe de référence, les 25-44 ans dans les deux cas (respectivement +1,9 % et -3,3 %). Ces derniers constituent également le groupe de référence quant à l’évolution du taux de fréquence des lésions les plus coûteuses (+0,6 %). L’évolution chez les 15-24 ans (+3,9 %), les 45-54 ans (+3,3 %) et les 55 ans et plus (+7,9 %) s’en distingue dans tous les cas de manière statistiquement significative.

Au regard des catégories professionnelles, aucune différence statistiquement significative n’a été mesurée pour l’évolution du taux de fréquence ETC des lésions avec PTI, des lésions de plus de 90 jours indemnisés et des lésions avec réadaptation. Quant au taux de fréquence des lésions les plus coûteuses, il a davantage augmenté chez les travailleurs manuels que parmi les autres groupes. Au niveau des divisions économiques, exception faite de l’évolution du taux de fréquence ETC des lésions avec réadaptation, où aucune différence significative n’a été mesurée, deux divisions figurent parmi celles dont la situation s’est le plus dégradée en regard de chacun des trois autres indicateurs : Soins de santé et assistance sociale et Services d’enseignement.

Plusieurs genres d’accidents ou d’expositions ont connu une évolution statistiquement significative de leur nombre de lésions acceptées entre 2012 et 2017. Deux d’entre eux se démarquent à la fois pour les lésions acceptées et les lésions plus coûteuses, soit l’exposition au bruit (avec des variations annuelles moyennes de +15,4 % et +16,7 % respectivement) et le mouvement répétitif (+10,1 % et +11,8 %).

Trois industries-catégories professionnelles ont enregistré une hausse statistiquement significative pour chacun des quatre indicateurs de taux de fréquence ETC. Ce sont les travailleurs manuels et mixtes des établissements de soins infirmiers et de soins pour bénéficiaires internes, des services de soins ambulatoires et de l’assistance sociale et les travailleurs non manuels des services d’enseignement. Il s’agit des industries-catégories professionnelles sur lesquelles notre attention devrait se porter en priorité. Il ne s’agit pas nécessairement de regroupements ayant les taux de fréquence les plus élevés, mais de ceux pour lesquels ces taux se sont le moins améliorés au cours de la période étudiée. Il est cependant important de souligner que les travailleurs manuels des établissements de soins infirmiers et de soins pour bénéficiaires internes, des services de soins ambulatoires et de l’assistance sociale affichent un taux de fréquence ETC des lésions avec PTI 5,7 fois supérieur au taux moyen de l’ensemble des industries.