Résumé Plusieurs manipulations réalisées sur les corps des défunts par les thanatopracteurs produisent des bioaérosols qui peuvent contenir des agents pathogènes infectieux. La ventilation générale est souvent le seul moyen utilisé dans les laboratoires de thanatopraxie pour maîtriser les bioaérosols. Toutefois, il n’y a pas de recommandations précises pour sa mise en application. De plus, peu d'études abordent les expositions professionnelles aux bioaérosols dans le domaine de la thanatopraxie tant quantitativement (niveau d’exposition) que qualitativement (identification et classification selon les groupes de risque). L’objectif de cette étude était d’évaluer l’exposition des thanatopracteurs aux bioaérosols afin d’apprécier les risques potentiels sur leur santé et d’évaluer l’effet de certains facteurs sur le comportement des particules d’origine biologique dans l’air. Trois laboratoires de thanatopraxie ont fait l’objet d’une évaluation. Des prélèvements de bioaérosols y ont été effectués dans l’air et sur les surfaces en utilisant un impacteur de marque Andersen à 6 étages, des préleveurs de type CIP-10M et SASS® 3100 ainsi que des écouvillons hygiena Q-swab™. Les différents prélèvements ont servi au dénombrement des bactéries cultivables et à leur identification. Différentes méthodes ont été utilisées pour l’identification bactérienne. Des concentrations numériques de particules fluorescentes (particules d’origine biologique) et non fluorescentes, et des mesures granulométriques (entre 0,5 et 20 µm) ont aussi été effectuées en temps réel à proximité du thanatopracteur à l’aide d’un spectromètre à fluorescence induite par laser (WIBS-NEO). Des calculs de taux de changements d’air par heure et des simulations en dynamique des fluides (CFD) ont été effectués dans chacun des laboratoires. Les simulations ont permis de calculer l’âge moyen de l’air à différents endroits du laboratoire et d’évaluer l’effet de différentes stratégies de ventilation sur les concentrations de bioaérosols dans le laboratoire. Cette étude a établi que les travailleurs réalisant une activité de thanatopraxie étaient en moyenne faiblement exposés aux bioaérosols, mais que certaines tâches étaient susceptibles de générer une augmentation des concentrations de bioaérosols à proximité du travailleur. Des souches de bactéries appartenant aux Mycobacterium non tuberculeux (groupe de risque 2) ont été identifiées dans deux des trois laboratoires étudiés. En plus des Mycobacterium, plusieurs bactéries provenant des familles Corynebacterium, Dietziaceae, Gordoniaceae. Nocardiaceae et Streptomycetaceae ont aussi été trouvées dans les trois laboratoires. Finalement, Streptococcus pneumoniae, un pathogène humain du groupe de risque 2, a été cultivé dans des échantillons provenant des laboratoires A et C. La mise en culture de Streptococcus pneumoniae démontre que des bactéries provenant des voies respiratoires humaines se retrouvent en état cultivable dans l'air des laboratoires de thanatopraxie. Les bioaérosols ont des diamètres majoritairement inférieurs à 4 µm (fraction dite respirable) qui leur confèrent une forte probabilité de dépôts dans les voies respiratoires et un fort potentiel de déplacement dans l’air des salles de thanatopraxie. Les tâches de travail entraînant un effet de soufflet et des éclaboussures ont été identifiées comme les activités les plus émissives. Les taux de ventilation calculés étaient respectivement de 2,1, 10,3 et 7,9 changements d’air par heure (CAH) pour les laboratoires A, B et C. Les simulations par CFD, dans les 3 laboratoires, ont montré que les concentrations de particules étaient les plus élevées à des débits de ventilation de 1 CAH. L’augmentation du débit de 1 à 4 CAH réduit les concentrations de 28 à 67 % selon le laboratoire modélisé. Dans les laboratoires A et C, la modification de la ventilation mécanique par une augmentation du nombre de CAH peut être un moyen de maîtriser les concentrations de bioaérosols, bien que la captation à la source soit toujours l’option à privilégier. Dans le laboratoire B, les concentrations en nombre de particules à 10,3 et 12 CAH sont comparables. Ce résultat semble indiquer qu’une augmentation de la ventilation au-delà de 12 CAH n’aura pas un impact significatif sur les concentrations. D’autres méthodes de maîtrise doivent donc être envisagées. En considérant la difficulté à identifier la présence d’agents pathogènes dans le corps des défunts et la proximité du thanatopracteur, la grande diversité des tâches de travail et l’incertitude associée à la dilution des contaminants par ventilation générale, les auteurs de ce rapport recommandent de considérer minimalement le port d’un appareil de protection respiratoire (APR) à épuration d’air de type pièce faciale filtrante jetable (N/R/P-95/99/100) ou demi-masque élastomère muni de cartouches filtrantes P100 lors des tâches de thanatopraxie.