Résumé L’éthique de la santé fait partie intégrante de la pratique infirmière. L’éthique définit des principes, tels la bienfaisance ou le respect de l’autonomie, qui viennent baliser cette pratique. Ainsi, l’éthique est imbriquée dans toutes les interventions des infirmières et infirmiers (ci-après les infirmières). Il n’est pas rare toutefois que les infirmières vivent des expériences qui sont problématiques d’un point de vue éthique. On parlera souvent dans la littérature de dilemmes éthiques. Ces dilemmes peuvent avoir un impact négatif sur la santé de ces dernières. En effet, en raison de la détresse générée par ces dilemmes, les infirmières peuvent ressentir des symptômes physiques (maux de tête, douleurs musculaires, insomnie) ou psychologiques (anxiété, stress), ce qui peut engendrer un sentiment d’insatisfaction au travail, voire contribuer à un épuisement professionnel. Il est reconnu dans la littérature que ces dilemmes touchent généralement la prestation des soins. Des perceptions divergentes quant à la nécessité de certaines interventions ou la difficulté de fournir des soins équitables lorsque les ressources sont limitées sont des exemples de dilemmes qui posent problème pour les professionnels de la santé, dont les infirmières. Dans le cadre d’un cours d’éthique clinique de deuxième cycle universitaire donné à des infirmières, il a été constaté que les récits que faisaient celles-ci d’une expérience, perçue comme étant problématique d’un point de vue éthique, comportaient également des aspects relatifs à leur santé et sécurité au travail (SST). Cette recherche avait donc pour but d’explorer et de décrire les caractéristiques de ces expériences problématiques d’un point de vue éthique en mettant l’accent sur les aspects de SST. Afin d’atteindre ce but, les récits rédigés par des infirmières dans le cadre du cours ont fait l’objet d’une analyse qualitative descriptive; les récits étant présentés sous forme d’un travail écrit de fin de session rapportant l’expérience vécue. Analyser ces travaux était également original et novateur en tant que méthode de recherche pour explorer ces expériences puisqu’aucune autre étude utilisant une méthode similaire n’avait alors été recensée. Après avoir lancé un appel aux infirmières ayant suivi le cours entre 2011 et 2017, 115 d’entre elles ont accepté que leur récit fasse partie de cette recherche. Au moment où se sont déroulés les évènements et l’expérience qu’elles ont décrits dans leur travail, la plupart d’entre elles en étaient à leurs premières années de pratique en tant qu’infirmières et elles occupaient, en majorité, une fonction orientée vers les soins aux patients alors que quelques autres étaient gestionnaires ou encore travaillaient en prévention/promotion en santé communautaire. Toutes œuvraient en contexte québécois, principalement urbain. Les récits ont fait l’objet d’une analyse qualitative thématique de contenu qui a permis de décrire les sources des expériences vécues, leurs conséquences sur les infirmières de même que les pistes de solution qu’elles proposent, et ce, en portant une attention particulière aux aspects de SST qui y sont liés. Suivant l’analyse, l’expression « situation éthique » a été privilégiée pour englober l’expérience et les évènements décrits par chacune des infirmières. Parmi les résultats saillants, on constate d’une part que les dilemmes éthiques ne figurent pas parmi les situations éthiques les plus vécues. En fait, dans une majorité des cas, les infirmières ne semblent pas nécessairement vivre un « dilemme » au sens propre, à savoir un sentiment de devoir choisir entre deux (ou plus) options équivalentes. Plutôt, leur certitude quant à la « bonne » action à poser lors de la situation vécue semble assez présente. D’autre part, il ressort que la SST est récurrente au sein des situations éthiques puisque près du deux tiers des infirmières l’ont abordée. Ainsi, les résultats montrent que plusieurs aspects de SST sont impliqués dans les situations éthiques. Ces aspects ont été regroupés lors de l’analyse selon des catégories de déterminants de SST. Ces déterminants ont trait à l’environnement physique de travail, à l’organisation du travail, aux relations et perspectives de travail et aux manifestations de violence. Ces déterminants peuvent être à la source de la situation ou encore la précipiter, voire l’empirer. Les risques infectieux auxquels sont exposées les infirmières, leur surcharge de travail, leur manque de latitude décisionnelle en sont des exemples. Diverses formes de violence font également partie des aspects qui influencent les situations telles les manifestations dont elles sont la cible ou témoins, tant physiques que psychologiques. Les résultats soulèvent par ailleurs que certains déterminants de SST peuvent avoir un effet bénéfique sur les situations éthiques. Le soutien, l’entraide, l’écoute font partie des avenues formulées par les infirmières afin de mieux prévenir ou gérer ces situations. Les résultats font enfin état de conséquences que ces situations éthiques ont sur les infirmières. La tristesse, la détresse, l’anxiété, l’épuisement, un sentiment d’incompétence ou de culpabilité ou encore une perte d’estime d’elles-mêmes sont parmi les termes récurrents utilisés par les infirmières pour décrire ces conséquences. Des impacts négatifs sur la qualité et la sécurité des soins aux patients ont également été identifiés par ces dernières. Cette étude a donc permis d’explorer des situations éthiques vécues par les infirmières. Étant donné que la SST apparaît comme étant partie prenante de nombreuses situations, cette recherche souligne la nécessité d’intégrer des dimensions relevant de la SST à l’enseignement de l’éthique aux infirmières et de poursuivre la réflexion sur ce qu’est un milieu de travail favorable au plan éthique dans le contexte actuel du réseau de la santé québécois.