Résumé Une grande partie de l'activité des hygiénistes du travail consiste à mesurer les niveaux d'exposition professionnelle des travailleurs. La plupart des rapports d'évaluation de l'exposition font état d'une importante variabilité spatiale et temporelle quant à l'intensité de l'exposition, laquelle fluctue souvent du simple au décuple en dépit de conditions apparemment similaires. Il en résulte depuis toujours un défi de taille en ce qui concerne l'interprétation des niveaux mesurés par rapport aux valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP). Il existe désormais un cadre consensuel – issu d'une élaboration progressive au cours des deux dernières décennies – concernant l'analyse des niveaux d’exposition par rapport aux limites d'exposition. Ce cadre repose sur la présomption que les niveaux d’exposition présentent une distribution lognormale, à tout le moins approximativement. Plusieurs paramètres de la distribution sous-jacente tenus pour être indicatifs d'un risque pour la santé sont estimés à partir d'un certain nombre de mesures et comparés à la VLEP. Bien que ces méthodes permettent une meilleure évaluation du risque que les approches traditionnelles, elles n'ont pas été largement adoptées par les intervenants en hygiène du travail, et elles font appel à des notions statistiques généralement non abordées dans les programmes de formation habituels. Elles requièrent en outre des calculs difficilement réalisables avec des outils courants tels que calculatrices et chiffriers. Bien que des outils aient été développés en ce sens au fil des années – généralement à l'initiative de bénévoles – la plupart restent déficients à plusieurs égards, que ce soit en termes d'accessibilité, de fonctionnalité, de convivialité ou de complexité. Par ailleurs, l'incertitude relative aux estimations a surtout été prise en compte par voie de tests d'hypothèses formels ou de calculs d'intervalles de confiance, dont les résultats ne sont pas faciles à présenter aux décideurs, ce qui entrave la capacité des intervenants à communiquer efficacement les risques. Enfin, les outils disponibles sont des logiciels autonomes difficiles à intégrer à un système de gestion de données préexistant. Le projet WebExpo visait à améliorer les pratiques actuelles en matière d'interprétation des niveaux d'exposition professionnelle grâce à la création d'une bibliothèque de solutions algorithmiques aux questions les plus fréquentes concernant l'évaluation du risque en hygiène du travail. La plupart de ces questions nécessitent l'estimation des paramètres d'une ou plusieurs distributions statistiques, et WebExpo a eu recours aux statistiques bayésiennes pour effectuer les tâches requises à cette fin. Les méthodes bayésiennes ont été retenues du fait qu'elles présentent deux grands avantages. Premièrement, elles fournissent directement des inférences probabilistes (p. ex., Quelles sont les chances que... ?), ce qui facilite la communication des risques. Deuxièmement, elles permettent d'aborder des questions méthodologiques rarement prises en compte, notamment en ce qui a trait aux valeurs signalées comme étant non détectées (un sujet de préoccupation fréquent). Les trois objectifs spécifiques de WebExpo étaient les suivants : 1) évaluer les besoins actuels en matière de calculs, de documentation et de communication des risques en lien avec l'interprétation des données d'exposition professionnelle, 2) créer une bibliothèque de codes de programmation informatique s'appuyant sur les statistiques bayésiennes pour répondre à une série de questions formulées dans le cadre du premier objectif spécifique, et 3) créer, à partir des codes de programmation élaborés dans le cadre du deuxième objectif spécifique, des prototypes d'outils répondant aux besoins définis dans le cadre du premier objectif spécifique. Le premier objectif spécifique a été atteint en réalisant une revue des lignes directrices en vigueur à l'échelle internationale ainsi que des publications pertinentes les plus récentes, complétées par des rencontres avec des comités d'experts et d'intervenants. Le deuxième objectif spécifique a été atteint en développant des solutions bayésiennes applicables à la liste de calculs établie à la première étape, en convertissant ces algorithmes en code statistique et en traduisant ce code en langage de programmation. Finalement, les algorithmes de programmation ont été utilisés pour créer des prototypes d'analyse de données fonctionnels illustrant les calculs possibles et pouvant servir de point de départ à la création d'outils complets d'analyse de données. La liste de calculs pertinents issue du premier objectif spécifique et ayant par la suite servi de base à l'élaboration de formules mathématiques, d'algorithmes et de prototypes comportait deux grands volets. Le premier concernait l'estimation des paramètres d'une seule distribution, soit l'approche conventionnelle axée sur l’évaluation d’un groupe dit « d'exposition similaire ». Les mesures sont alors présumées provenir d'une distribution d'expositions partagées par un groupe de travailleurs accomplissant des tâches similaires. En guise d'illustration, ce modèle permet de répondre à la question : « Quelle est la probabilité que les expositions non mesurées au sein de ce groupe dépassent la VLEP plus de 5 % du temps ? » Le second volet étendait la portée du premier modèle de manière à pouvoir estimer la mesure dans laquelle un groupe de travailleurs partage ou non des expositions similaires. La variabilité globale de l'exposition est alors divisée en variabilité intra-travailleur et en variabilité inter-travailleur. Cela permet non seulement d'évaluer le risque de groupe, mais aussi de déterminer si certains travailleurs individuels sont plus à risque que le groupe. En guise d'illustration, ce modèle permet de répondre à la question : « Bien que l'exposition de groupe semble acceptable, quelle est la probabilité qu'un travailleur au hasard subisse une exposition supérieure à la VLEP plus de 5 % du temps ? » Tous les modèles incluent le traitement des valeurs non détectées et tiennent compte des erreurs de mesure associées au prélèvement et à l’analyse. Les algorithmes issus de l'exercice sont disponibles en R pour les chercheurs, en C# pour les applications autonomes hors ligne ou sur serveur, et en JavaScript pour les applications Web. Ils couvrent la saisie de données, l'estimation bayésienne, des modules d'interprétation numérique et une interface utilisateur limitée aux prototypes en C# et en JavaScript. Le code est publiquement accessible aux termes de la licence libre Apache 2.0 pour permettre aux utilisateurs de créer leurs propres applications. Le projet WebExpo devrait générer une trousse d'outils complète à la disposition de la communauté de l'hygiène du travail aux fins d'interprétation des niveaux d'exposition professionnelle, tout en offrant aux utilisateurs la souplesse de créer ou d'adapter leur propre logiciel plutôt que d'en utiliser un nouveau.