Résumé Chaque année, des travailleurs québécois subissent des effets sur leur santé après avoir été exposés à des substances chimiques, notamment à des solvants. La modélisation des expositions professionnelles occupe une place importante dans la prévention des risques. Cette recherche vise à étudier différents aspects de la modélisation pour estimer des expositions professionnelles à des vapeurs de solvants dans le but d’en améliorer la justesse de prédiction. Le travail de recherche a été effectué en deux volets. Grâce à la mise en œuvre de tests à petite échelle (volet I) et à échelle humaine (volet II), les travaux présentés dans cette recherche ont porté sur la détermination des taux d’émission pour les solvants purs et les mélanges ainsi que sur l’étude du comportement des vapeurs de solvants émises dans l’air et soumises à différentes conditions expérimentales de ventilation. Dans le volet I, des taux d’émission (α) à décroissance exponentielle ont été déterminés expérimentalement en environnement contrôlé (température, humidité, vitesse de l’air) pour cinq solvants purs dans différentes conditions. Des analyses de régression linéaire multiple ont été effectuées afin d’évaluer l’influence des différents paramètres testés sur les valeurs de α. Des taux d’émission ont aussi été calculés pour des solvants purs et des mélanges, et des estimations de concentration de vapeurs dans une boîte de 0,085 m³ ont été réalisées en utilisant le modèle de pièce avec air uniformément mélangé et émission à décroissance exponentielle. Au total, 18 scénarios ont été réalisés avec différents solvants : 4 solvants purs, 12 mélanges aqueux (10 %, 5 % et 1 % de solvant dans l’eau) et 2 mélanges de solvants organiques. Les estimations de concentration supposaient aussi bien l’idéalité (utilisation des taux d’émission non corrigés) que la non-idéalité (utilisation des taux d’émission corrigés par les coefficients d’activité). Ces données estimées ont été comparées à des concentrations mesurées à l’aide d’un système de chromatographie en phase gazeuse couplé à un détecteur de conductivité thermique (TCD). Les concentrations ont été comparées graphiquement aux valeurs prédites par le modèle et des ratios entre les concentrations maximales mesurées et estimées ont été calculés. Dans le volet II, dix-neuf situations expérimentales différentes, mises en scène dans une pièce à échelle humaine dont le volume était de 53,4 m3, ont été testées à trois reprises. La pièce était ventilée selon deux stratégies de ventilation (plancher/plafond) et pour différents débits (bas débit (B) à 0,8 changement d’air par heure (CAH) (12 l/s), haut débit (H) à 2,3 CAH (32 l/s) et très haut débit (TH) à 4,5 CAH (64 l/s)). Quatre scénarios ont été testés : 1) évaporation sur une table, 2) déversement sur le sol, 3) application de solvant au chiffon suivie de nettoyage manuel, 4) pulvérisation de solvant suivie d’un nettoyage manuel. Les tests d’évaporation et de déversement ont été réalisés à partir d’un verre de montre contenant 20 mL d’acétone disposé sur une balance analytique. Les tests de nettoyage ont été effectués par un opérateur qui simulait le nettoyage au chiffon d’une pièce d’aluminium. Les concentrations de vapeurs de solvants ont été mesurées à l’aide d’instruments à lecture directe placés dans la zone rapprochée (30 cm de la source, NF) et la zone éloignée (reste de la pièce, FF). Pour la zone rapprochée, deux instruments à photo-ionisation (PID) ont été utilisés pour mesurer les concentrations. Pour la zone éloignée, deux chromatographes de type micro GC Varian couplés à des TCD ont été utilisés. Pour chaque essai, une modélisation des concentrations dans les zones proche et éloignée a été effectuée à l’aide du modèle deux zones et ces concentrations ont été comparées aux valeurs mesurées. Les valeurs de rayon de la zone rapprochée ont été optimisées pour faire correspondre les concentrations mesurées et estimées. Des analyses statistiques ont été réalisées pour déterminer l’existence de différences significatives entre les concentrations proches et éloignées. Des analyses de variance et de régression linéaire multiple ont aussi été effectuées afin d’évaluer l’influence de différentes variables des modèles. Une modélisation par dynamique des fluides (computational fluid dynamics, CFD) des mouvements d’air et de dispersion de contaminants gazeux a été accomplie pour certains scénarios. L’évaporation du solvant était considérée dans le code numérique par l’intermédiaire d’une condition frontière à la surface du verre de montre dans laquelle une masse prédéterminée de solvant était injectée dans l’air ambiant. Des comparaisons entre les valeurs estimées et mesurées ont donc été exécutées. Pour le volet I, les variations observées des valeurs de coefficients α s’expliquent en grande partie par les variables tension de vapeur, ratio surface/volume et vitesse de l’air au-dessus du déversement. Les estimations de concentration dans la boîte considérant la non-idéalité dans le cas des mélanges, donc les estimations corrigées, étaient plus élevées que celles non corrigées et plus proches des valeurs mesurées. De plus, les temps nécessaires pour atteindre les pics de concentration des estimations corrigées permettaient d’estimer adéquatement les cinétiques d’émission. Pour le volet II, l’analyse de variance a démontré que l’ensemble des variables avait un effet sur les concentrations de la zone rapprochée alors que seuls le débit et la position de l’entrée d’air avaient un effet sur la zone éloignée. L’augmentation des débits de ventilation avait pour effet d’abaisser significativement les concentrations dans les deux zones. Les rayons obtenus par l’optimisation des concentrations mesurées et estimées pour les scénarios d’évaporation et de déversement étaient très homogènes avec un rayon moyen de 0,72 m (écart type géométrique, ETG, de 1,3) et le coefficient β (débit d’air interzones) estimé moyen correspondant était de 3,9 m³/min (0,92-16,9). L’utilisation de ce rayon pour une géométrie de zone rapprochée permet donc une estimation adéquate de la concentration de vapeurs de solvants à une distance de 30 cm de la source. En revanche, pour les scénarios d’application au chiffon et de pulvérisation, les rayons optimisés étaient plus grands et variaient plus largement avec des rayons moyens respectifs de 1,1 m (ETG de 1,6) et 1,2 m (ETG de 1,9). La modélisation CFD a permis d’étudier le gradient de concentrations autour de la source pour des scénarios d’évaporation et de déversement. Le gradient de concentrations diminuait rapidement avec des concentrations passant de 1757 mg/m³ à 83 mg/m³ pour une zone rapprochée en forme de cube de 14 cm et de 64 cm de côté, respectivement. La modélisation CFD a aussi mis en évidence les déplacements du contaminant dus à la densité de vapeur relative à l’air sans qu’il soit nécessaire de faire appel à l’advection. Ce mécanisme de transport est d’autant plus significatif lorsque le débit de soufflage dans la pièce est faible. Cette étude a ainsi montré l’importance de différentes variables utilisées pour estimer des taux d’émission lors de petits déversements, l’importance de considérer la non-idéalité en cas d’utilisation de mélange non idéal et l’importance de différents déterminants des concentrations dans les zones rapprochée et éloignée. Ces données améliorent la compréhension générale de la dispersion des vapeurs de solvants et de l’utilisation des modèles auxquels on recourt en hygiène du travail pour estimer des expositions professionnelles à ce type d’émanation.