Résumé Une bonne connaissance des niveaux d’exposition des travailleurs aux contaminants chimiques est fondamentale dans un programme de maîtrise, de prévention et de gestion des risques associés à ces substances. Au Québec, l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) administre un système de gestion de l’information du laboratoire (LIMS – Laboratory Information Management System). Cette banque de données électronique contient l’ensemble des résultats d’analyse liés à l’évaluation de l’exposition telle que mesurée par les équipes de santé au travail depuis 1985. Les données du LIMS sont intéressantes pour établir des portraits d’exposition. Cependant, leur interprétation est limitée par le peu d’éléments d’information sur les circonstances et les objectifs associés à chaque prélèvement. La banque de données Integrated Management Information System (IMIS) de l’agence américaine Occupational Safety and Health Administration (OSHA), qui contient les résultats des analyses d’échantillons recueillis depuis 1979 par ses inspecteurs, renferme une information plus complète sur le contexte des prélèvements que celle colligée dans le LIMS. De plus, contrairement au LIMS qui présente seulement les valeurs de concentration de l’échantillon, la majorité des résultats dans l’IMIS sont des mesures d’exposition individuelles calculées, directement comparables aux valeurs limites d’exposition. Considérant la similarité des activités socio-économiques américaines et québécoises, l’objectif général de cette activité de recherche était de comparer les données d’exposition recueillies par l’agence OSHA et les données du LIMS pour évaluer leur utilité comme source d’information sur les conditions d’exposition des travailleurs québécois. La comparaison des données américaines et québécoises a porté sur l’ensemble des agents chimiques analysés au cours d’une période commune aux deux banques de données. Elle a été organisée selon 2 axes. Le premier axe a porté sur la comparaison des secteurs d’activité économique associés à des expositions dans l’IMIS et le LIMS. Les couples agent chimique secteur d’activité pour lesquels au moins 10 mesures détectées étaient disponibles ont été identifiés dans une banque, puis la proportion des couples retrouvés dans l’autre banque a été déterminée. Le second axe a porté sur la comparaison des niveaux d’exposition. Une première analyse descriptive a comparé les niveaux médians par agent chimique sans égard à la période ou au secteur d’activité économique. Une seconde analyse comparant les niveaux moyens recensés dans l’IMIS et le LIMS a été réalisée par modélisation statistique en prenant en considération l’année de mesure, l’activité économique et la durée de mesure. Les résultats ont été synthétisés pour l’ensemble des agents selon les familles des métaux et des solvants. Les extraits d’IMIS (352 442 enregistrements) et du LIMS (386 083 enregistrements) couvraient la période 1985-2011 et comprenaient 49 substances communes, soit 21 solvants, 15 métaux, 5 gaz, 4 isocyanates, 2 acides, ainsi que la silice cristalline et le styrène. Les données relatives aux métaux étaient plus nombreuses dans l’IMIS (234 387 c. 86 054) alors que celles relatives aux solvants l’étaient dans le LIMS (247 367 c. 71 690). Les données relatives aux agents plomb, toluène, fer et manganèse étaient nombreuses dans les deux banques. Pour l’ensemble des 49 agents, les proportions des mesures non détectées et celles dépassant les valeurs recommandées par l’ACGIH étaient fortement associées entre les deux banques. Les enregistrements dans l’IMIS et le LIMS étaient concentrés dans le domaine manufacturier, avec plus de 70 % des mesures liées aux deux premiers groupes prioritaires de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). De façon générale, les mesures étaient réparties de façon similaire pour les différents secteurs entre l’IMIS et le LIMS. La comparaison des couples agent-secteur d’activité associés à des mesures quantifiées a pu être effectuée pour 36 agents. Dans l’IMIS, 61,4 % des couples identifiés ont pu être associés au LIMS, alors que 62,8 % des couples identifiés dans le LIMS ont pu être liés à IMIS. Les banques IMIS et LIMS fournissent donc des portraits globalement compatibles, mais complémentaires sur la présence d’expositions dans le tissu industriel nord-américain. La comparaison directe des niveaux d’exposition a été limitée par la compatibilité des systèmes de classification des activités économiques entre l’IMIS et le LIMS, et par l’absence d’information sur la durée des mesures dans le LIMS pour les années antérieures à 1994. Ainsi, la comparaison descriptive a été établie pour, respectivement, 169 388 et 367 486 enregistrements de l’IMIS et du LIMS, alors que pour la modélisation, le total combiné ne dépassait pas 100 000 enregistrements. Les analyses descriptives et de modélisation ont montré que les niveaux d’exposition aux métaux étaient plus faibles dans l’IMIS que dans le LIMS, à la fois pour les mesures de courte durée et de longue durée, d’un facteur d’environ 2. Ces observations globales étaient valables pour la majorité des métaux étudiés. Pour les solvants, les analyses descriptives ont montré des niveaux de courte durée similaires entre les deux banques, malgré des variations notables entre certains agents. Pour les mesures de longue durée, les analyses suggèrent des niveaux légèrement plus élevés pour l’IMIS. Des variations notables entre certains solvants étudiés ont également été observées. Malgré l’absence de données de référence pour vérifier à quel point les mesures de l’IMIS et celles du LIMS sont représentatives des expositions subies par les travailleurs québécois, cette recherche, qui suggère que les deux banques fournissent un portrait global cohérent à la fois sur le plan des activités couvertes que sur celui des niveaux d’exposition, est rassurante à cet égard. Les résultats de cette étude, étant donné la rareté des données de mesure disponibles, valident fortement l’utilisation conjointe de l’IMIS et du LIMS pour l’évaluation de l’exposition des travailleurs dans le contexte québécois.