Résumé Pour voir la vidéo, veuillez activer Javascript et considérez mettre à jour votre navigateur à une version supportant le HTML5. To view this video please enable JavaScript, and consider upgrading to a web browser that supports HTML5 video. Mise en contexte et objectif Prenant acte du constat d’échec des formations à la manutention axées sur l’enseignement exclusif de la technique sécuritaire « dos droit – genoux fléchis », une nouvelle approche d’intervention dite « stratégie intégrée de prévention en manutention » (SIPM) a été proposée en 2011. Son originalité repose, entre autres, sur l’utilisation de neuf principes d’action permettant de comprendre et de commenter la richesse des techniques de manutention utilisées naturellement par les manutentionnaires dans leur milieu de travail. L’étude a pour objectif central d’évaluer l’appropriation et le transfert de la SIPM par un groupe d’intervenants formés à cette approche lors d’interventions naturelles en contextes réels. Méthodologie L’étude compte quatre volets complémentaires et séquentiels. Une enquête par questionnaire en ligne a d’abord été réalisée pour étudier les pratiques d’intervention en santé et en sécurité de travail (SST) d’une population d’intervenants (n=104) du Québec (volet #1). Par la suite, un échantillon de 28 intervenants issus du domaine de la SST a été formé à la SIPM. Divers indicateurs prédictifs du transfert ont été évalués en contexte postformatif à l’aide d’un questionnaire (volet #2). Une méthodologie mixte et qualitative mobilisant divers outils de cueillette de données a ensuite été utilisée pour évaluer l’appropriation et le transfert par les intervenants de la SIPM lors d’interventions en manutention (n=19) en contextes réels, et ce, sur une période de suivi de deux ans (volets #3). Des indicateurs et des déterminants d’appropriation ont permis d’évaluer et d’expliquer trois niveaux de transfert de la SIPM : exemplaire, adéquat et insuffisant. De plus, l’utilisation faite des principes d’action lors de ces interventions a été approfondie. Fort de ces résultats, des recommandations d’amélioration de la SIPM et de la formation de formateurs visant son utilisation appropriée ont été formulées (volet #4). Principaux résultats Volet #1 : L’enquête montre que les intervenants en SST au Québec ont une pratique fortement axée sur la préparation et la prestation de sessions d’information ou de formation. La transmission de connaissances est l’approche pédagogique dominante : plus rarement sollicite-t-on l’engagement actif et contextualisé des apprenants. Avec en moyenne plus de 10 ans d’expérience, ces intervenants peuvent être considérés comme des spécialistes de la formation en SST. Toutefois, comme ils sont appelés à multiplier les formations sur plusieurs thématiques, ils peuvent être perçus comme des généralistes – plutôt que des spécialistes d’un domaine – incluant la manutention. Ces données ont permis d’adapter la formation à la SIPM à cette réalité. Volet #2 : Les divers indicateurs évalués permettant de prédire le transfert chez les apprenants une fois la formation terminée suggèrent le fort potentiel de cette formation à susciter un transfert des apprentissages du milieu formatif vers le milieu de travail. Entre autres, les formés perçoivent les notions apprises comme utiles, disent avoir le sentiment de bien les maîtriser, d’accomplir des apprentissages et avoir l’intention de transférer leurs acquis lors d’interventions futures. Leur sentiment d’efficacité personnel à l’égard de leur capacité à déployer la SIPM – un fort prédicteur du transfert – est en moyenne très élevé. Ces résultats ont incité l’équipe de recherche à vérifier le niveau de transfert dans les pratiques naturelles d’intervention en manutention de ces intervenants. Volet #3 : Des 28 intervenants ainsi formés, 16 ont pu être observés lors d’une prestation de formation, certains à plus d’une reprise, pour un total de 19 cas étudiés. Ces interventions se sont déroulées dans divers milieux de travail et pour une grande hétérogénéité de tâches de manutention de complexité variable. Les populations formées étaient soient des travailleurs de production (n=13) – la population cible de la SIPM – soit des travailleurs-formateurs en entreprises (n=3 : p. ex. des superviseurs) ou d’autres populations (n=3 : p. ex. spécialistes en réadaptation). Les indicateurs évalués de façon plus détaillée pour 10 des 13 formations offertes à des travailleurs-manutentionnaires témoignent d’une excellente appropriation de la part des intervenants, et ce, sur plusieurs dimensions. Toutefois, deux cas ont été jugés d’un niveau d’appropriation insuffisant. Les plus grands écarts observés entre la SIPM et les formations dispensées par les intervenants concernent surtout leur durée plus courte, la rareté des actions de transformation des situations de travail ainsi que certains aspects du dispositif de formation mis en place pour susciter des apprentissages. Plusieurs déterminants ont été identifiés qui expliquent une bonne part des écarts constatés entre la SIPM et les pratiques de formation à la manutention en usage. Les intervenants identifient surtout des déterminants d’ordre contextuel liés à leur environnement de travail (p. ex. surcharge de travail) ou à l’environnement du milieu demandeur (p. ex. budget limité) qui les contraignent à adapter la SIPM à ces réalités. L’équipe de recherche a aussi pu pointer des déterminants individuels, ainsi que des facteurs liés aux caractéristiques des tâches de manutention et aux travailleurs formés (mentionnés aussi par quelques intervenants). Les intervenants utilisent les principes d’action de manière conforme aux enseignements reçus, bien que certains d’entre eux soient plus évoqués, alors que d’autres sont sous-utilisés : un assez fort « biais postural » demeure. Finalement, plutôt que d’intégrer les propositions de changement aux résultats – la discussion a été mise en valeur ici et là par des encadrés qui décrivent les améliorations proposées à la SIPM et à sa formation (volet #4). Éléments de discussion Les résultats suggèrent une forme d’appropriation « en devenir ». D’une part, les intervenants formés ont montré une grande capacité à s’approprier et à transférer les contenus de formation de la SIPM : l’utilisation qu’ils font des principes d’action et des autres notions enseignées lors des formations est fort appropriée, bien que certains « glissements » soient notés. Les efforts sont évidents pour contextualiser les savoirs abordés, de même que pour choisir des supports pédagogiques adaptés et des stratégies pour susciter des échanges entre participants, de sorte à créer une dynamique participative. D’autre part, les intervenants font face à un dilemme entre deux conceptions ou paradigmes de formation : l’un selon lequel la transmission de savoirs théoriques domine, l’autre selon lequel l’engagement actif des apprenants dans la construction de leurs connaissances est privilégié. Les intervenants doivent ainsi effectuer de difficiles transitions – et les compromis qu’elles requièrent – entre : a. une posture de « formateur-expert » et une autre de médiateur des apprentissages, qui touche leur identité professionnelle; b. le contrôle strict des contenus et du déroulement ainsi qu’une certaine tolérance à l’incertitude, tout en tenant compte des exigences normatives des formations; c. un contenu dominé par les connaissances et un autre pour lequel l’accent est mis sur les savoir-faire moteurs, en lien avec les requis du travail et les thématiques abordées; d. la prise en compte des besoins du « client demandeur » et ceux du « client cible », en lien avec les mandats et les objectifs de formation poursuivis. Ces transitions peuvent être déstabilisantes et nuire à l’utilisation de la SIPM si les intervenants ne se sentent pas accompagnés et soutenus. Idées clefs à retenir Malgré une complexité élevée et une rupture paradigmatique évidente, une majorité d’intervenants en SST formés à la SIPM a pu se l’approprier et la transférer dans leurs pratiques d’interventions courantes. L’approche est appréciée des parties prenantes; Des écarts entre certains préceptes de la SIPM et les pratiques en usage persistent, dont certains s’expliquent par des déterminants représentant des barrières pour les intervenants et auxquelles ces derniers tentent de s’adapter. Cette régulation est pour l’heure incontournable; Les intervenants formés à la SIPM sont dans une phase de transition entre leurs pratiques antérieures de formation et les nouveaux requis pédagogiques de la SIPM, engendrant des dilemmes pouvant les déstabiliser, voire les décourager s’ils ne sont pas bien soutenus.