Résumé Le pourcentage de travailleurs seniors âgés de 45 ans et plus augmente sans cesse sur le marché du travail au Québec. Dans le secteur de l’éducation, une large portion de la main-d’œuvre est âgée de 45 ans et plus (41 %) et un tiers du personnel aura quitté son poste entre 2009 et 2018 (Grenier, 2009). Des statistiques récentes montrent aussi que les lésions tant de nature physique que psychologique des travailleurs québécois du secteur de l’éducation sont souvent associées à une perte de temps indemnisée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Ces lésions touchent davantage des travailleurs seniors qui occupent diverses fonctions (p. ex., enseignants, personnel administratif) (Busque, 2012). L’objectif général de cette étude est d’identifier les déterminants du maintien en emploi en santé des travailleurs seniors âgés de 45 ans et plus œuvrant dans une commission scolaire (CS) québécoise. Fondée sur un devis mixte à volet quantitatif (Phase 1) et qualitatif (Phase 2), l’étude est réalisée auprès de travailleurs seniors d’une CS. Lors de la Phase 1, des données longitudinales et de différentes natures ont fait l’objet d’analyses statistiques : a) données autorapportées et recueillies dans le cadre d’une intervention offerte au personnel de la CS durant la période de 2004 à 2012 (p. ex., facteurs psychosociaux et aspects de la santé psychologique); b) données certifiées par l’employeur pour la période de 2002 à 2015 (p. ex., fonction, années de service, absence, retraite). Lors de la Phase 2, 28 entrevues semi-structurées ont été réalisées auprès de travailleurs employés à la CS depuis 2004 ou avant, et qui sont âgés de 45 ans et plus. Des analyses du contenu des entrevues ont ensuite été conduites. Cette étude a permis de mieux comprendre comment les conditions de travail caractérisées par la présence de facteurs psychosociaux favorisent la santé psychologique des travailleurs seniors et les encouragent à rester en emploi à la CS plutôt que de décider à prendre une retraite hâtive. Les résultats de la Phase 1 ont mis en évidence que les travailleurs en fin de carrière montrent de plus hauts niveaux de stresseurs ressentis au travail et d’amotivation comparativement à ceux qui se trouvent dans l’étape intermédiaire de leur carrière. Pour les travailleurs retraités, l’autonomie et la flexibilité des horaires contribuaient à leur satisfaction au travail et à leur motivation introjectée. Ces aspects positifs de la santé psychologique au travail, à leur tour, ont déterminé leur choix de se maintenir en emploi à la CS, et ce, jusqu’à leur retraite régulière. Comparativement au groupe qui a opté pour une retraite hâtive avec des pénalités financières, celui des travailleurs qui ont choisi une retraite régulière se caractérise par des niveaux plus élevés de satisfaction au travail et de satisfaction envers l’établissement. Les résultats des analyses statistiques effectuées sur les données certifiées montrent que l’absence pour invalidité physique affecte davantage de participants en mi-carrière qu’en fin de carrière. En revanche, l’absence pour invalidité psychologique affecte davantage des participants en fin de carrière et ceux qui ont opté pour une retraite hâtive. L’absence pour invalidité psychologique concerne un plus petit nombre de participants, mais sa durée excède en jours moyens par année celle pour invalidité physique. Enfin, les résultats sur le taux de présence au travail corroborent ceux sur l’absence pour les travailleurs qui sont encore en emploi à la CS : les travailleurs en mi-carrière s’absentent moins pour des raisons d’invalidité psychologique, tandis que les participants en fin de carrière s’absentent moins pour des raisons d’invalidité physique. Les résultats de la Phase 2 ont permis d’appuyer et de compléter les informations obtenues à la Phase 1 quant aux facteurs psychosociaux et aux aspects de la santé psychologique qui influencent le maintien en emploi des travailleurs seniors inclus dans cette étude. Les répondants mentionnent certains facteurs défavorables, comme les stresseurs ressentis au travail et la surcharge de travail. La fatigue et les insatisfactions qui découlent d’une période de changements et de compressions budgétaires sont pondérées par des facteurs favorables, comme le soutien social des collègues, du supérieur ou de la CS, la possibilité d’ajuster la charge, les tâches, ainsi que les horaires de travail. À ces facteurs, qui jouent un rôle important dans l’intention de se maintenir en emploi à la CS, s’ajoutent des pratiques de gestion des ressources humaines qui visent la rétention de la main-d’œuvre vieillissante, comme la retraite progressive, les possibilités de promotion et de formation, ainsi que la situation financière du travailleur et de sa famille (p. ex., le revenu), son état de santé ou celui de son conjoint, d’autres facteurs liés à la vie hors travail (p. ex., la charge familiale, les activités hors travail). Il s’agit de la première étude réalisée au Québec qui montre que le maintien en emploi en santé est influencé par des facteurs de différentes natures. Ces éléments sont considérés par le travailleur dès la mi-carrière, car il doit tenir compte de ses besoins (p. ex., valeurs, trajectoire de carrière) inscrits dans différents systèmes et régimes (p. ex., organisation, santé, assurance, retraite), tout en considérant d’autres acteurs (p. ex., la clientèle, les collègues, la famille). La rétention de travailleurs seniors peut être réalisée par des interventions qui ciblent des conditions de travail optimales à travers l’équilibre de la demande et des ressources disponibles, répondant à la fois aux besoins de la main-d’œuvre vieillissante et de sa productivité dans l’organisation.