Résumé L’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) produit et publie depuis plusieurs années des indicateurs statistiques de santé et de sécurité du travail (fréquence, gravité, fréquence-gravité, coûts). Ceux-ci sont habituellement produits tous les 5 ans à l’aide de données administratives de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) qui ont, en moyenne, 3 ans de maturité. Les indicateurs sont donc élaborés à partir de données qui ne cumulent pas tous les effets des conséquences des lésions professionnelles. La production de ces indicateurs repose sur la présomption qu’une période de 3 ans de maturité est suffisamment longue pour dresser un portait représentatif de celui qu’on obtiendrait avec des données à pleine maturité tirées des dossiers d’indemnisation fermés. Notons également qu’il y a des considérations pratiques associées à l’utilisation de données ayant 3 ans de maturité, soit qu’il n’y ait pas un délai trop long entre les années de références de ces indicateurs et la réalité d’aujourd’hui. La présente étude analyse, dans un premier temps, l’impact de l’utilisation de données d’une maturité plus longue, sur les indicateurs produits à l’IRSST. Ensuite, la stabilité des classements identifiant les groupes et problématiques cibles a été évaluée, à partir de ces mêmes indicateurs, afin de statuer sur le bien-fondé de l’utilisation de données dont la maturité atteint 3 ans. De façon générale, l’utilisation des données ayant 9 ans de maturité, soit une période 3 fois supérieure à ce qui est habituellement utilisé, a souvent des effets assez importants qui varient selon les indicateurs analysés. Ainsi, en choisissant 9 ans de maturité plutôt que 3, la durée moyenne d’indemnisation par lésion passe de 88,9 à 128,7 jours. Cela représente une augmentation d’environ 45 % en 6 ans. Le taux de fréquence-gravité passe de 3,0 à 4,3 jours par travailleur en équivalent temps complet (ETC), ce qui représente également une augmentation de 45 %. L’ajout de 6 ans de maturité a pour conséquence une hausse d’environ 44 % des débours de l’ensemble des dossiers. Les coûts globaux, qui incluent des coûts financiers et humains, n’augmentent pas dans la même proportion, mais ils subissent tout de même une majoration d’environ 35 %, ce qui les fait passer de 4,7 à 6,3 milliards de dollars ($ de 2015). La proportion de lésions qui nécessitent au moins 180 jours d’indemnisation est un indicateur qui reste quasi inchangé malgré un prolongement de la maturité, passant de 10,5 % à 10,7 %. Il ressort également que, malgré les différences importantes de la valeur de la plupart des indicateurs, le prolongement de la maturité des données a un faible impact sur les classements des descripteurs de lésions ou des groupes cibles (industries-catégories professionnelles). Il n’y a que très peu de changements de rang, basé sur le coût moyen par lésion, dans les classements par descripteur de lésions (siège, nature, genre, agent causal). Certains de ces descripteurs peuvent être associés à des problématiques cibles. Ainsi, les lésions au dos, et celles liées à des troubles psychologiques, sont les plus influencées par l’augmentation de la maturité. Il s’agit de celles dont le rang subit les plus fortes progressions dans les classements, tout en étant celles dont le coût moyen par lésion et le coût total augmentent le plus, d’un point de vue relatif. Que ce soit le classement selon la durée moyenne d’indemnisation, la proportion de lésions avec perte de temps indemnisée (PTI) dont la durée d’indemnisation excède 180 jours, la proportion de lésions avec atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (APIPP), ou le taux de fréquence-gravité des lésions avec PTI, la grande majorité des groupes cibles identifiés avec des données ayant 3 ans de maturité demeurent même en considérant des données de 9 ans de maturité. De plus, il n’y a pas de groupes cibles particuliers qui se démarquent de façon significative en accédant à un rang supérieur ou inférieur du classement. Cela est vrai tant pour les femmes que pour les hommes. L’étude a également permis de déterminer les caractéristiques des lésions qui sont associées à des hausses plus marquées de leurs coûts en prenant en considération des données dont la maturité a été prolongée. Ainsi, l’allongement de 6 ans de la période de maturité des données a pour effet une augmentation beaucoup plus élevée, absolue et relative des coûts des dossiers de travailleurs ayant bénéficié de réadaptation, ou ceux liés à une rechute, récidive ou aggravation, comparativement aux dossiers qui n’en ont pas. Dans une moindre mesure, des hausses de coûts plus importantes pour les lésions avec APIPP sont observées, comparativement aux lésions sans ce type d’atteinte, de même que pour les maladies professionnelles par rapport aux accidents du travail. En bref, les résultats de la présente étude permettent d’affirmer que les gains provenant de l’utilisation de données ayant une maturité de 9 ans n’ont pas un impact significatif sur l’identification des groupes cibles ainsi que sur la désignation des types de lésions les plus coûteuses, même si la valeur des indicateurs peut changer passablement. L’utilisation de données d’une maturité de 3 ans semble donc appropriée et répond aux besoins de l’IRSST. Il faut toutefois garder à l’esprit que certains types de lésions ou certaines problématiques seront plus sous-estimées que d’autres. Il en est ainsi des lésions au dos, des lésions psychologiques, des dossiers qui incluent un programme de réadaptation, ainsi que les lésions avec des rechutes.