Résumé Plusieurs disciplines, dont l’ergonomie, la médecine, la toxicologie, l’andragogie et bien d’autres, ont contribué à l’avancement des connaissances en santé et sécurité au travail (SST). Malgré les avancées scientifiques, un défi demeure, celui de développer les habiletés des gestionnaires et de sensibiliser ces derniers à leur rôle dans la prise en charge des mesures correctrices et préventives en matière de santé et de sécurité. Une équipe de professeurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a proposé de relever ce défi en constituant une banque d’études de cas destinée à l’enseignement aux futurs gestionnaires. Les cas ont été élaborés à partir d’informations obtenues lors d’entretiens menés auprès des gestionnaires des ressources humaines (GRH) et des responsables de la SST de onze entreprises. Lors des interrogatoires, l’emphase a été mise sur les situations d’interaction entre la SST et la GRH dans le cadre de la gestion de l’organisation. Les objectifs pédagogiques visés par ce projet étaient de développer les compétences des futurs gestionnaires afin qu’ils comprennent les déterminants de la SST et de la GRH, qu’ils sachent poser un diagnostic de SST et qu’ils développent des capacités d’introspection et de prospection sur l’émergence de ces problèmes. Le but était d’aider les futurs gestionnaires à créer des dynamiques favorables à une culture de la SST et à inscrire les mesures de SST dans un processus de changements organisationnels durables.Les entreprises participantes, situées dans la région métropolitaine et en périphérie, sont de tailles et de secteurs de production variables. Les problèmes de la SST évoqués sont de tous ordres : des maux de dos (hernie discale), des troubles musculosquelettiques (tendinites, bursites), des brûlures ainsi que des chutes et des problèmes de santé mentale (dépression, harcèlement, mobbing). Ils sont associés à des difficultés d’organisation du travail, de management, d’harmonisation des méthodes de travail, de port d’équipements de protection et de surcharge physique ou psychologique au travail. Les problèmes en gestion des ressources humaines relèvent des difficultés à recruter ou à retenir une main-d’œuvre compétente, de mauvaises relations, de l’augmentation du taux d’absentéisme et du taux de roulement ainsi que de la conciliation travail/famille. La plupart de ces problèmes de GRH ont été mis en lumière lors de l’analyse des problèmes de la SST.Les propos des représentants ont rapidement conduit aux effets d’interaction de la GRH et de la SST provoqués par les grandes réorganisations au sein des entreprises. Au fur et à mesure que progressait la cueillette des données, les entretiens se révélaient beaucoup plus riches que prévu. La complexité des cas et les investissements déployés par les entreprises pour résoudre les problèmes ont révélé diverses formes de résilience organisationnelle, un élément qui s’est avéré important dans la compréhension des stratégies de résolution de problèmes. De ces entretiens ont également émergé des données percutantes sur l’impact des problèmes sociétaux sur l’interaction des problèmes de SST et de GRH. Les entreprises participantes ont, pour la plupart, fait une analyse exhaustive de leurs problèmes et des solutions possibles. Toutes ont cependant admis ne pas avoir résolu leurs problèmes et aucune n’avait fait une évaluation de l’implantation des solutions, ni consigné de façon systématique ses observations. Les entreprises ont proposé aux chercheurs des cas qui présentent des situations problématiques non résolues qui font appel à des contextes et à des problèmes d’actualité et de société auxquels elles sont exposées. Cette banque d’études de cas a été validée auprès de cinq groupes d’étudiants inscrits à un cours de premier ou de deuxième cycle en SST. Le premier objectif était de valider la convivialité du matériel pédagogique. En général, les descriptifs de cas ont été faciles d’utilisation. Néanmoins, certains cas ont été plus laborieux parce qu’ils étaient truffés d’éléments de contexte confondants, obligeant les étudiants à faire un effort de synthèse et d’identification des éléments essentiels à la résolution de problèmes. Le second objectif était de valider la transférabilité des apprentissages vers d’autres secteurs d’enseignement, dont les relations de travail. Bien que des efforts aient été déployés pour impliquer des enseignants des relations de travail, les thèmes traités dans les cas étaient trop éloignés de leurs enseignements pour qu’ils puissent les intégrer tels quels dans leurs plans de cours. Dans d’autres circonstances, des professeurs provenant d’autres champs de compétences trouveront fort probablement dans cette banque d’études de cas des situations facilement intégrables à leur enseignement. Le troisième objectif était de valider l’impact des enseignements par étude de cas. Les résultats obtenus par les étudiants pour leurs rapports écrits sont satisfaisants et les échanges en classe ont été fructueux et animés. Toutefois, il a été constaté que les débats ont émergé uniquement dans les classes du 2e cycle. Les enseignants et les étudiants qui ont plus d’expérience professionnelle et qui ont déjà fait des apprentissages par étude de cas bénéficient davantage de cette pédagogie. Devant la complexité des situations d’interaction entre les problèmes de SST et de GRH, les entreprises ont fait preuve de résilience organisationnelle. Les chercheurs ont analysé les processus de résolution de problèmes à partir de la capacité de résilience organisationnelle selon quatre composantes : a) l’événement déclencheur ou accélérateur; b) la menace identitaire, de survie ou de perte d’une part de marché; c) la valeur de l’erreur ou l’apprentissage tiré de l’expérience menaçante; d) la flexibilité pour analyser les problèmes et explorer des avenues non habituelles de solutions.Presque tous les interlocuteurs ont soulevé les enjeux de société qui affectent le fonctionnement de leur entreprise respective, et ce, sans que le sujet soit inscrit dans la grille d’entrevue. Une section particulière du rapport traite des enjeux de société qui contribuent à l’interaction entre les problématiques de GRH et de SST. Ces enjeux sont, par ordre d’importance : a) le remplacement de la main-d’œuvre; b) le vieillissement de la main-d’œuvre; c) l’intégration de la nouvelle génération de travailleurs; d) l’appauvrissement des travailleurs et des communautés. Tous ces problèmes de société se retrouvent au cœur des entreprises et interagissent avec les problèmes de SST et de GRH.