Sébastien Gagné et Éric Langlois sont à l’origine d’une belle avancée en toxicologie qui leur a valu la publication d’un article dans Rapid communication in mass spectrometry.
Il s’agit d’une méthode innovante de l’analyse d’ortho-crésol urinaire. Le duo de scientifiques a développé cette nouvelle méthode de façon très efficace, un plus pour la clientèle des laboratoires de l’IRSST.
Ultrahigh-performance liquid chromatography–tandem mass spectrometry quantitation of o-cresol in hydrolyzed human urine to assess toluene exposure est le titre de cet article.
Genèse d’une solution
« Nous sommes sortis des sentiers battus pour développer cette méthode, raconte Sébastien. Je travaille à l’IRSST depuis 13 ans et il s’agit des travaux les plus impressionnants que j’ai faits. »
Le dosage de l'ortho-crésol urinaire en fin de poste de travail (et fin de semaine) est le reflet de l'exposition du jour même et est corrélé à l'intensité de l'exposition au toluène.
« L’ortho-crésol est une molécule que nous dosons régulièrement comme marqueur de l’exposition au toluène des travailleuses et travailleurs exposés. Cependant, la sensibilité de ce paramètre est moyenne et ne permettait d'apprécier que des expositions lorsque la VEMP était de 50ppm. La méthode était souvent inconcluante aussi à cause des interférences. De plus, les limites de détection n’étaient pas assez basses. L’abaissement des normes dans le Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST) a conduit à une révision de la valeur de référence biologique, nommée indice biologique d’exposition (IBE), ce qui nous a obligé à revoir la méthode. Nous avons profité de cette occasion pour nous pencher attentivement sur tous les problèmes de cette méthode.
Nous avons donc pris une molécule qui était incompatible avec le type d’appareil que nous utilisions et nous l’avons convertie pour la rendre compatible. Nous la dérivons avec du chlorure de dansyle ce qui la rend compatible avec un système de chromatographie liquide couplé à la spectrographie de masse. »
L’ortho-crésol est une molécule volatile et n’est pas analysable par la chromatographie liquide. Les scientifiques de l’IRSST l’ont convertie dans le processus de préparation de l’échantillon d’urine pour la rendre non-volatile et facilement ionisable dans l’appareil.
« Cette transformation nous a permis d’aller chercher des limites de détection très basses et de nous débarrasser de toutes les interférences que nous avions précédemment. La méthode précédente présentait plusieurs pics et nous rencontrions beaucoup de difficultés à aller chercher l’ortho-crésol dans la forêt des pics. Avec la nouvelle méthode, nous avons deux pics facilement repérables et nous pouvons chercher l’ortho-crésol de façon sélective.
Nous sommes les premiers à faire cela dans le monde, » s’exclame Sébastien Gagné.
Utilité
« Sur le plan pratique, cette découverte nous permet de mesurer l’intensité du niveau d’exposition des travailleuses et travailleurs. La surveillance biologique vise à mesurer la charge corporelle totale à une substance pour toutes les voies d’absorption possibles : cutanée, respiratoire et digestive. Le niveau d’ortho-crésol donne le niveau d’exposition de la personne au toluène. Plus la travailleuse ou le travailleur est exposé ou aurait absorbé du toluène, plus le niveau d’ortho-crésol sera grand dans l’urine. Ce niveau ne sera jamais zéro, avertit le chimise Sébastien Gagné, parce qu’il y a toujours une proportion qui provient de la pollution atmosphérique, de la fumée de cigarette, de la diète, mais au moins il sera en dessous de la valeur de référence.
Habituellement, les molécules volatiles sont analysées avec un type d’appareil utilisant la technique de la chromatographie gazeuse. Les molécules non-volatiles ou semi-volatiles sont analysées par la chromatographie liquide. Nous sommes sortis des sentiers battus en prenant une molécule volatile et en la rendant non-volatile pour l’analyser avec un autre type de technique. »
Futures avenues de recherche
« Nous continuons nos explorations et travaillons à utiliser cette méthode pour d’autres molécules, par exemple l’hydroxypyrène, le biomarqueur des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Il s’agit d’une autre molécule volatile que nous voulons convertir en molécule non-volatile pour l’analyser par chromatographie liquide. Nous avons ouvert une nouvelle voie pour l’analyse des composés volatils, » précise Sébastien.
Collaboration et co-construction
La littérature scientifique mentionne que des groupes de recherche dérivent leurs molécules en utilisant des agents, dont la chlorure de dansyle qui apparaissait aux yeux des scientifiques de l’IRSST le plus adapté pour l’ortho-crésol.
« Nous l’avons essayé et le résultat a comblé nos attentes. Pour un chimiste cette découverte suscite une fierté incroyable! Je n’ai pas travaillé tout seul, mais en collaboration étroite avec mon collègue Eric Langlois. »
Sébastien est l’auteur et coauteur d’une quarantaine d’articles
Le toluène?
Le toluène est un composé organique volatil utilisé dans les applications domestiques et industrielles. Les principales voies d'exposition au toluène sur le lieu de travail sont l'inhalation et le contact cutané. L'exposition à cette substance peut causer de graves dommages au système nerveux. Mesurer l’exposition au toluène est donc crucial pour prévenir les maladies professionnelles.
Le toluène est métabolisé principalement sous forme d'acide hippurique, d'acide S-benzylmercapturique et d'époxydes. Ceux-ci sont rapidement convertis en o-/p-crésol, qui est ensuite excrété dans l'urine sous forme de glucuronides et de sulfates conjugués. L'ortho-crésol et ses conjugués peuvent être hydrolysés chimiquement pour former de l'o-crésol libre, qui peut ensuite servir de biomarqueur urinaire de l'exposition au toluène. Comme l’expliquait le chimiste de l’IRSST, les méthodes analytiques actuelles de quantification de l'o-crésol dans l'urine hydrolysée sont cependant affaiblies par les interférences et n’étaient pas suffisamment sensibles. Le développement d'une méthode de chromatographie liquide-spectrométrie de masse en tandem pour évaluer l'exposition au toluène était donc nécessaire. Chose faite à l’IRSST!